samedi 5 mai 2007

La laïcité en danger

Le 10 avril dernier, le Théâtre Toursky organisait un débat public autour du thème « la laïcité en danger ». Avec Richard Martin, directeur des lieux, comme chef d’orchestre de cette université populaire, la rencontre s’annonçait engagée et instructive afin comme il le dit « de tenir éveillée l’idée de laïcité, d’éviter la bêtise et de conserver ce qui est le fondement de notre république ». Fondement à défendre, héritage précieux obtenu par la lutte de nos ancêtres qui demeure aujourd’hui incompris, malmené voire ignoré.
En effet, si nombreux sont ceux qui affirment savoir ce qu’est et ce qu’englobe la laïcité, d’aucun par contre ne saurait en donner une définition ou du moins une représentation précise. Retour sur ce tournant décisif de l’histoire de la république Française…
La loi du 9 décembre 1905 marque la séparation franche entre l’Etat et les Eglises. L’Etat garantit alors la liberté de conscience et le libre exercice des cultes à chacun, tout en s’interdisant de s’immiscer dans la sphère du religieux comme l’Eglise s’abstiendra d’intervenir dans celle du politique. Peut-être une évidence pour certains aujourd’hui (bien que plus souvent bafouée que respectée), mais une véritable révolution à l’époque. Une révolution dont la généalogie de l’idée de séparation remonte au XVIIIème siècle et plus exactement à 1789. Dans la nuit du 4 août 1789, l’Eglise est dépossédée de ses privilèges fiscaux et ses biens sont nationalisés. La brèche est alors ouverte et cette première fissure deviendra lentement fossé. De l’affirmation de la liberté d’opinion à la constitution civile du clergé en 1790, en passant par la légitimation du pouvoir sans fondement religieux et surtout la laïcisation de l’enseignement sous l’influence de Condorcet et Lakanal ; l’idée fait son chemin amenant peu à peu un mouvement de sécularisation de la société Française. L’attitude du pouvoir pontifical après 1814 entraînera un combat anticlérical mené par les républicains à la fin du XIXème siècle. L’affaire Dreyfus viendra à son tour montrer la limite de l’entente entre l’Etat et l’Eglise, et témoignera de la nécessité d’une séparation pacifique de ces « deux France ».A l’orée de cette mutation de la république Française, trois hommes viendront alors jouer un rôle primordial : Emile Combes, en tant que président du conseil à l’époque du vote de la loi ; Aristide Briand, rapporteur de la commission parlementaire chargée de la préparation de la loi et Jean Jaurès qui assurera la cohésion de la majorité parlementaire et rédigera l’article 4 de la loi.
C’est donc en toute logique que Richard Martin inaugura ce débat public par la lecture des écrits de ce grand leader socialiste qu’était Jaurès. Engagé, révolté et saisissant d’implication tout au long de son intervention, Richard donna d’emblée le ton de la soirée, sensible, grave et solennel. « Nous sommes tous des soldats de la laïcité » affirme-t-il. A un tournant politique de notre pays, un tournant où la laïcité est oubliée des débats politiques, le citoyen doit jouer son rôle de vigilance et de respect de cette loi. Ce débat n’était donc en rien un meeting…mais plutôt une sorte de café philosophique, une scène ouverte qui n’était pas sans rappeler l’Agora de la Grèce Antique. Un lieu, élément essentiel du concept de Polis, où chacun pouvait exposer ses idées librement. Tour à tour, trois intervenants (Pierre Cassen, Michèle Vianes et Henri Pena Ruiz), acteurs culturels et sociaux experts de la question, ont exposé leurs axes de réflexion pour que la salle puisse, par la suite, réagir en toute liberté à leurs propos.
La laïcité, bien qu’ancrée dans l’histoire du monde, « ce n’est pas hier, ce n’est pas aujourd’hui, c’est demain » affirme Raymond Mallet, président des rencontres de la cité. Face aux intégrismes grandissants, aux maltraitances exercées sur les femmes pour des dogmes religieux, la laïcité, cette pierre angulaire de notre socle républicain est menacée. Dans le monde Arabo-musulman, les femmes n’ont même plus le droit d’ouvrir Internet seules chez elles. A leur domicile, elles ne sont plus libres. Comme le souligne Michèle Vianes, responsable du collectif femme 13, la femme est la première victime des reculs laïques. Ferry avait semble-t-il raison en affirmant « Celui qui tient la femme tient tout », et certaines religions l’ont bien compris. De plus, par le voile on accède à une sorte d’ethnicisation de la république et par définition la république laïque et démocratique ne conçoit pas de communautarisme. Comme le dit si bien Jaurès « Laïcité et démocratie sont deux mots identiques », défendons ainsi la laïcité autant que nous revendiquons notre démocratie. Car la réhabilitation de ce combat laïque ne date que de 2003, preuve qu’il faut en arriver à des offensives cléricales massives pour entraîner enfin une prise de conscience de l’importance d’un coup d’arrêt. Mais comment rendre cette idée, si peu comprise, accessible à tous ? Montrée comme une idée vieillotte et faussement entendue, la laïcité a été exclue de la campagne électorale. La réinstaller dans le discours politique assurerait sa défense sur la scène publique. Lorsque l’on voit qu’au Canada, « l’accommodement raisonnable » concède à la religion une supériorité sur l’Etat, il convient comme le souligne Pierre Cassen de « prendre nos responsabilités et de tenir bon pour mener les autres pays ».
Un débat instructif et incommensurablement citoyen, où la laïcité a été fêtée jusque dans le principe. Un exemple à suivre pour que la laïcité, seul bouclier contre l’intégrisme et seul moyen de préserver la paix civile, la liberté de tous et la justice sociale soit préservée. La laïcité, c’est une lutte d’aujourd’hui pour une paix de demain. Il est temps que soient réaffirmés la liberté de conscience, la liberté de croire ou de ne pas croire, et l’universalisme de la loi commune. Parce que la laïcité ne se dit pas mais se vit et se partage, l’action est le seul remède contre la confusion existante entre l’ordre social et l’ordre individuel, pour rendre à la république sa dimension universelle, réconcilier l’Europe avec l’Europe et au-delà, l’humanité avec l’humanité. Richard Martin souhaite ainsi lancer l’année prochaine une fête annuelle de la laïcité à Marseille…Adressons lui tout notre soutien, pour qu’à la manière de Voltaire, « nous puissions braver les diables fantastiques qui sont autour de nous »…

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Tes articles sont toujours aussi bons... Tu as une maturité et une plume impressionnante... Continue, c'est vraiment très agréable de te lire.