mercredi 17 octobre 2007

Pierrot l'éternel gamin

Le 16 octobre dernier, le Théâtre Toursky accueillait celui qui réunit les générations autour de chansons douces, pétillantes, malicieuses et dénonciatrices. Pierret Perret – cet ami de Brassens - qui fête cette année ses 50 ans de carrière a littéralement épris les spectateurs de 7 à 77 ans…

Quand le théâtre devient chorale

Du haut de ses 73 ans qu’il porte à ravir, Pierre Perret – Pierrot dans le cœur de ses acolytes - a la bouille tendre et émerveillé d’un gamin espiègle. Débutant son tour de chant par la plus célèbre des cages, celle aux oiseaux, il a d’emblée donné le ton. Enfantin, coquin, mais aussi accusateur, tel serait le penchant de ce concert. De chansons métaphoriques à d’autres revendicatrices, cet être humble et humain a chanté l’amour et l’humour en poésie dans un spectacle résolument interactif. Car Pierret Perret c’est aussi l’échange et la proximité avec son public. Malgré une voix fragilisée par un rhume, il a chanté tant qu’il a pu devant un public marseillais qui l’a ovationné. Répondant aux assauts malins et à l’énergie de l’artiste, le public – enfin sorti de sa timidité - s’est mis à chanter et le théâtre est devenu chorale. Des enfants aux ainés, tout le monde a entonné ses refrains connus que sont Le zizi, Les colonies de vacances, Lily, Mon petit Lou ; mais aussi des chansons récentes dont Liberté Zéro où l’ami Pierre chante les injustices qu’il combat…

« Elle croyait qu’on était égaux Lily, Au pays de Voltaire et d’Hugo Lily »

Mais Lily avait tort et Pierrot le sait bien. Car l’artiste, en poète éclairé, est avant tout près de l’humain et de ses souffrances. Un des rares avec qui la vulgarité et la sexualité deviennent lyrisme, un de ceux qui chantent en clamant les injustices de ce monde, usant de l’humour quand le sujet est grave. Parler de tout en chanson, en tendresse et avec ironie pour « être attentif à la misère des autres et la ressentir avec son cœur et ses tripes ». Pierrot est généreux, sincère, sensible et son public sait le lire dans son regard – reflet de l’âme dit on – à la fois bienveillant, rêveur, réaliste et triste aussi. Il chante l’immigration, la misère, la violence et le racisme avec le chagrin dans la voix mais l’espoir dans le mot, le regard toujours droit devant pour avancer et combattre. Combattre les décadences et les errances d’un XXIème siècle naissant avec la douceur, la délicatesse et l’amour comme fer de lance. Un seul mot : Merci Pierrot!!!

lundi 15 octobre 2007

Circo Paradisio

Circo Paradisio, c’est une troupe de neuf artistes, un ensemble loufoque – quasi psychédélique – qui nous entraîne dans l’Histoire du cirque. Mais l’Histoire du cirque revisitée par Circo Paradisio, ça n’est pas un récit chronologique mais plutôt une fresque désopilante de laquelle on retient que le cirque « ça se transmet de génération en génération ».
Tout commence en 1664 – date bien connu des messieurs selon l’Auguste, animateur pour l’occasion – avec la famille Desjardins. Le premier de la famille entame son tour de piste et ses pseudos descendants feront de même tout au long des 2 heures de spectacle. Funambules volants, trapézistes, jongleurs, chanteurs, danseurs et même une femme sirène composeront peu à peu cette photo de famille des plus étranges. Le ton est plaisantin, très – trop ? – léger, bohème. On s’y moque de la religion – « Et si jamais Dieu existait, il faudrait s’en débarrasser » s’écrie l’Auguste -, on compare les humains aux poules – qui envahissent d’ailleurs le plateau – et les protagonistes parviennent même à rire de leurs propres blagues. C’est un cirque en folie qui a envahi le Toursky en cette soirée d’automne. Une folie qui atteindra son apogée avec le tableau final, digne des dernières minutes du film « The full monty ». Les costumes sont magnifiques, les arrangements musicaux originaux et adéquats, les artistes au sommet de leur art mais l’ensemble pêche par manque de cohérence, de structure. On retiendra néanmoins l’effort esthétique de l’ensemble, le talent des interprètes et le déroutant moment où l’Auguste, hypnotiseur à ses heures perdues, endormira une poule devant des yeux ébahis. On regrettera par contre un humour un peu flasque, parfois trop grotesque, qui laissera perplexe les adorateurs de la subtilité, de la finesse dans le rire.
Circo Paradisio, un spectacle qui, quelques arrangements effectués, pourrait évoluer en paradis du cirque…

samedi 13 octobre 2007

La cruche cassée

Texte d’Heinrich von Kleist, mis en scène par Frédéric Bélier-Garcia et adapté par Arthur Adamov. Théâtre national de Marseille La Criée du 10 au 13 octobre 2007. Durée du spectacle : 1h50.

« C’est qui qui, qui a cassé la cruche ? » s’exclame sur un ton plaisantin le greffier. Telle est la question, véritable épine dorsale de cette farce à la fois rocailleuse, grotesque et subtile. Cette farce qui prend sa source dans une estampe de Debucourt vue par l’auteur lors d’une visite en Suisse. Une œuvre représentant une scène anodine de justice villageoise.
Adam, juge désinvolte et enfantin de la province d’Utrecht, au fort penchant pour le vin et la bonne bouffe, se retrouve en train d’instruire son propre procès. Celui-ci a malencontreusement cassé une cruche alors qu’il s’enfuyait de la chambre de la jeune Eve – fille de la douce folle Dame Marthe - après avoir tenté de la corrompre lors d’une visite nocturne. Mais c’est que cette cruche n’est pas n’importe quelle cruche aux yeux de Dame Marthe. Elle a traversé les époques, les coups du sort sans que rien ne lui arrive…jamais. Il faut punir l’auteur de ce crime. Car à ses yeux, s’en est un ! La venue du conseiller de justice Walter, en tournée d’inspection dans les tribunaux de la région, va rendre périlleuse la situation de ce juge-jugé. Une maudite arrivée pour Adam, coupable de péché mortel, au-dessus de la tête duquel semble flotter une épée de Damoclès. Epée d’ailleurs symbolisé par trois poutres de tailles différentes qui ondoient sans cesse au-dessus du plateau, comme une sentence prête à tomber. La cour se transforme lentement en véritable cirque où le juge épuisera tous les subterfuges possibles pour s’innocenter. Le jeune paysan Ruprecht, vulgaire mais amoureux de la fragile Eve, fera les frais des efforts démoniaques mis en place par celui-ci pour se disculper. Des arguments cocasses, loufoques, souvent sans queue ni tête, qui entraînent indéniablement le spectateur dans une jouissive jubilation. A cour d’inspiration dans son plaidoyer, Adam sera peu à peu découvert, ne pouvant cacher ses blessures et son pied-bot, preuves de sa culpabilité. Cette farce folle aux personnages bien définis et affirmés, s’achève sur un plateau devenu pénombre où Dame Marthe reste là, statique et larmoyante en s’écriant « Ne faut-il pas que justice soit rendue à ma cruche ?! »…Celle-là même qui n’a rien compris au drame qui s’est joué, offre avec un irrésistible humour toute sa place au double sens attribué au mot « cruche » !
Derrière une bouffonnerie de bon aloi, se cache un tête à tête vétilleux et impertinent entre les deux justices – celle de dieu et celle des hommes - et l’auteur du péché. Un procès où Adam et Eve, personnages centraux, procèdent à un véritable jugement de l’humanité. L’homme y est présenté comme sinueux et immoral, la femme comme une victime des travers de celui-ci. Une farce où finalement, Adam et Eve, les deux croqueurs de pomme se retrouvent face aux mêmes contradictions. Celle des bonnes mœurs de l’époque et celle des désirs personnels. Un thème qui prête encore à méditation aujourd’hui…
Sans surprise, cette pièce du dramaturge Allemand Heinrich von Kleist a outré l’opinion lors de sa parution en 1805. Elle est la première pièce de son Œuvre. Un ouvrage inachevé par un décès prématuré – il s’est suicidé avec sa femme à l’âge de 34 ans – où il laisse néanmoins à la postérité huit pièces dont une inachevée. Des œuvres paradoxales, ambigües et bien souvent provocatrices pour un auteur en quête d’absolu. Un absolu qui le conduira à accompagner sa femme dans la mort et choisir en guise d’épitaphe « Maintenant, ô immortalité, tu es toute à moi ! » - vers tiré de sa dernière pièce Le Prince de Hombourg. Sa constante tentative du dépassement et son éternelle dualité entre subjectivité et réel installeront ce maître de l’entrelacement entre l’infini et la barbarie comme un auteur dans la droite lignée de Shakespeare. A raison certainement…

dimanche 7 octobre 2007

Face de cuillère

De Lee Hall, texte français de Fabrice Melquiot, mise en scène de Michel Didym. Avec Romane Bohringer.

Samedi dernier, dans la soirée du 06 octobre, c’est une étonnante petite fille qui occupait les planches du Théâtre du Jeu de Paume, à Aix-en-Provence. Cette singulière gamine, c’est Face de Cuillère ou Steinberg de son vrai nom, mais personne ne l’appelle plus comme ça. Au périlleux exercice que celui de jouer une enfant malade, c’est Romane Bohringer qui s’y est attelé, avec audace, générosité et sensibilité sans jamais tomber dans le pathos ou le larmoyant dans cette histoire pourtant tragique.

Un Etre hors du temps

Face de Cuillère, c’est une petite fille sans âge chez qui tout va de travers. Une enfant condamnée dès sa naissance à porter ce drôle de nom en raison de son étrange frimousse ronde. Toujours ailleurs et disposant de facultés « géniales », elle est une sorte de mystère sans réponse que les docteurs qualifient d’autiste. Elle qui pourtant a tant de choses à nous dire, à nous apprendre. Imitant tour à tour sa mère, vouant un culte à la vodka et son père qui se saoule, lui, des effluves du corps d’une étudiante - elle se moque de ce monde d’adulte. Elle qui est à la fois, une gosse, une ado et une femme. Une gosse qui émeut par son langage enfantin, familier, brut et qui nous sert des évidences avec la joie d’ingénieuses découvertes. Le temps ne semble pas effleurer celle que le cancer condamne pourtant à une courte vie. Face de Cuillère n’évoque les faits que dans l’approximation : « Il y a un bail »…comme si le temps devait être oublier. Elle est une incroyable leçon de philosophie. Elle, qui traite du beau, de la religion, de la maladie, de la mort avec ces tics langagiers typiques des adolescents : « Et tout ça », « Tu vois le truc ? ». Face de Cuillère c’est une sacrée môme que la vie n’épargne pas mais qui affronte son destin avec une maturité démente. Une sorte d’Antigone des temps modernes convaincue que « Les choses les plus tristes ça te remplit à fond ». Une adoratrice de La Callas et des chanteuses d’opéra qui finalement s’éteindra en musique, comme elles, ces grandes dames aux bustes prégnants...

Une formidable leçon de vie

Le spectacle s’étire sur plus d’une heure et Face de Cuillère nous prend comme confident, à moins qu’elle ne s’adresse à un ami imaginaire. Quand bien même, elle nous tutoie... Elle est proche et lointaine dans ce décor intimiste et minimaliste. Un décor ou la froideur des couloirs d’hôpitaux se mêle à l’intimité de ce monde intérieur symbolisé par un fond de scène parsemé de nuages. Un univers de « grand » où celui de l’école est tout juste matérialisé par un bureau qui tourne le dos au public, comme si l’école était déjà si loin pour elle. Car nous avons beaucoup à apprendre de cette gosse. Elle qui a compris « qu’il n’y a qu’une chose absolument sûre c’est que l’on est sûr de rien » et « qu’être différent c’est être soi ». C’est une môme avec des questionnements d’adultes qui, dans son malheur, reste convaincu de la beauté de la vie. Parce-que « peu importe comme on meurt, c’est quand même magnifique d’être vivant », tu vois le truc ? Elle a compris que le plus important est de trouver l’étincelle qui donne du sens à tout ça, à ce que l’on nomme la vie. Cette étincelle que même la mort ne peut enlever…notre monde intérieur, notre imagination. Ce « papillon » comme l’appelle si justement Jean-Dominique Bauby dans son livre « Le Scaphandre et le Papillon ». Elle nous prouve que les petits enfants sont bien plus courageux que les grands. Car pourquoi avoir peur de partir alors que l’on n’a pas eu peur de venir ? « Dans la mort, plus rien n’est séparé. On est tout, et c’est rien ! »

Une Romane Bohringer pudique et juste

Dans ce rôle difficile d’enfant malade, où elle se lançait pour la première fois dans l’expérience du monologue, Romane Bohringer est magnifique. Dans son jogging rouge, son bonnet enfoncé jusqu’au bas des oreilles, elle est expressive, fragile, réservée et infiniment juste. L’émotion toujours au bord des yeux, elle avance sereine jonglant habilement avec mélodramatique et humour. Une prouesse de comédien qui vient enjoliver le texte déjà saisissant de l’auteur anglais Lee Hall, traduit ici par Fabrice Melquiot. Dans cette mise en scène dynamique où l’heure passe comme sa moitié, le spectateur est ému par cette force de la nature qu’est Face de Cuillère. On y apprend à parler de la maladie et de la mort avec beaucoup d’ironie et à voir la vie pour ce qu’elle a de meilleur à offrir. « Dans le ménage, je laisserai tomber les étagères où l’on ne va jamais voir » nous dit Face de Cuillère. De cette œuvre théâtrale contemporaine, on ressort empli d’une irrépressible joie de vivre. Conscient que dans la vie, il ne faut donc pas s’encombrer de choses qui ne font qu’éteindre nos étincelles…