dimanche 29 avril 2007

"Il y a de l'eau dans le...gaz entre le jazz et la diva"

En ce vendredi soir, me voici au théâtre Toursky pour une représentation du Jazz et la diva ayant remporté le Molière 2006 du meilleur spectacle musical aux Victoires de la musique. Ce spectacle, comme tout ceux inscrit dans le cadre du projet « Margose, invitation au voyage » a pour objectif de favoriser la mixité des cultures et de promouvoir la découverte de l’autre en cette année de fête de l’Arménie en France. Embarquement pour deux heures de pur plaisir…

Sur ce plateau dénudé où une douce lumière offre au décor une dimension sacrée, trois individus entonnent une introduction musicale faites de piano, de violon et de chant lyrique. Ce sont Dimitri Naïditch (pianiste), Didier Lockwood, violoniste aux 35 ans de carrière et Caroline Casadesus, chanteuse lyrique soprano, descendante d’une grande famille de musiciens. Didier et Caroline, époux à la scène comme à la vie, donnent d’emblée le ton du spectacle par une présentation humoristique de leur vie commune et de leur rencontre. Ce soir, c’est leur 13ème anniversaire de mariage…Comme chaque année, Didier s’apprête à offrir à sa compagne son cadeau, une treizième mélodie d’amour. Ce sera Colchique dans les prés, que Caroline ne trouve pas vraiment à son goût. Pendant que Dimitri précise ironiquement que dans son pays d’origine, l’Ukraine, ce même classique se nomme Colchique dans la toundra, Caroline se moque de la chanson. Le couple s’enferme alors dans un échange houleux. Didier, pour se faire pardonner, demande à Caroline de chanter puisqu’elle le fait si bien, allant jusqu’à dire qu’il accepterait tout si elle le demande en chantant. Maligne et espiègle, celle-ci s’essaye alors à un : « Sors la poubelle et rince la baignoire » lyrique et profond. Fous rires dans la salle ! De cette discussion naît le débat qui oppose nos deux artistes…leurs préférences musicales. Didier, fervent adepte du jazz, dénigre le classique: « Le classique, ces musiciens qui jouent des morceaux déjà joués des milliers de fois ». Elle, chanteuse lyrique, défend ardemment la rigueur du classique et taxe le jazz de « musique de sauvage » et de « parfaite musique d’ambiance pour ascenseur ». Vexé, Didier se lance dans une série de blagues sur les compositeurs classiques : « Mozart, Beethoven et Bach vont boire un coup. Bach prend un whisky. Beethoven demande alors à Mozart ce qu’il veut boire. Celui-ci dit, je veux un baby comme Bach (baby come back) ». L’hilarité saisit à nouveau l’assemblée ! Il y a de l’eau dans le…gaz entre le jazz et la « diva ». Dans cette opposition d’idées, seul Dimitri juge que le principal est le message transmis et non pas l’étiquette du style. Touchés par ce compromis, les deux époux tentent d’alterner entre jazz et classique pour le plus grand bonheur des mélomanes présents dans le public. Public qui est d’ailleurs invité à siffloter des airs pour inspirer les artistes. La représentation se clôture par un solo de chacun. Caroline dévoile la puissance de sa voix et la profondeur de son vibrato. Dimitri effleure avec brio les octaves de son piano. Et Didier, aussi majestueux qu’effrayant de génie se lance dans un solo de violon intitulé « Globe trotter » où l’instrument, manié avec aisance tel un gadget, dévoile une multitude de nuances et de sonorités surprenantes. Naviguant de musiques aux accents exotiques à d’autres plus orientales, en passant par les cris de mouettes, les vagues qui s’échouent sur les récifs ou encore le sifflement des trains, Didier qui va même jusqu’à se mêler à l’assistance est à couper le souffle. La représentation s’achève sur un « Dieu bénit tout ceux qui s’aiment »…Un message en adéquation avec l’œuvre entreprise par le projet « Margose, invitation au voyage » pour une mixité pacifique des cultures.

On rigole généreusement de cet humour aussi raffiné et mondain que léger et désopilant. Didier Lockwood est à mourir de rire dans son jeu d’acteur aux mimiques extrapolées, aux petits pas dansés et aux blagues à un sou. Caroline Casadesus est époustouflante dans cette diva qui est aussi décontractée qu’on pourrait la croire « cul pincé ». Et Dimitri Naïditch est fabuleux dans ce costume de pianiste nonchalamment talentueux au fort accent Ukrainien qui affiche un humour so british. Eclats de rires à volo et standing ovation de la part de cette salle comble qui remercie la troupe pour ce spectacle fantasque, original et empli de génie. Les deux heures de représentations sont passées comme une seule, dans une composition résolument sans fausse note. Un spectacle, source de nombreuses images mentales pour une invitation officielle au voyage et au mélange des cultures. Le spectateur ressort enjoué et souriant de cette représentation oscillant entre concert et pièce de théâtre. Une représentation où les mots sont en musique et la musique, devenue jeu comme les mots, se transforme en véritable échange entre acteurs. Tout simplement divin…

mardi 24 avril 2007

Festival Reflets : la compréhension, reflet de la création

Pour la 6ème année consécutive, Marseille s’apprête à célébrer le festival Reflets du 2 au 6 mai prochain. Avec pour slogan « Des films d’aujourd’hui pour penser demain », cet évènement aux thématiques lesbiennes, gays, bi et trans œuvre pour que chacun et chacune découvre sa place et agisse avec d’autres pour un avenir meilleur. Créée en 2002 par l’association MPPM pour Moving Project / Projets en mouvement, dirigée par Michèle Philibert, cette fête célèbre les genres et la liberté sexuelle de chacun. L’association, elle, fondée en 1998 a pour objectif de contribuer au « développement et à la diffusion de différentes formes d’expressions artistiques et intellectuelles, dans le cadre d’une action culturelle destinée à tout public ». Suivant cette ambition, MPPM a d’ores et déjà signé plusieurs productions et organisé plusieurs projets qui vont de la région Paca jusqu’à l’échelon national. Plus qu’un simple producteur/diffuseur, elle s’intéresse à la formation des publics et aux pratiques éducatives artistiques. Située à la Friche de la Belle de Mai, son action est soutenue par la ville de Marseille, le ministère de la culture et de la communication, la région Paca et le conseil général des Bouches du Rhône.

Pour cette nouvelle escale, Reflets a posé la majorité de ses bagages au cinéma Les Variétés mais élargit cette année ses lieux de résidence. L’édition 2007 offre une programmation enrichie avec quinze films inédits à Marseille, dont deux cartes blanches offertes au festival Mix Brasil de Sao-Paulo et au festival de Marseille. Aux côtés de ces films, seront également présentés onze courts métrages dont ceux de Mix Brasil, James Brighton et d’autres. Des histoires multiples et insolites venues du monde entier seront au rendez-vous pour un dépaysement certain. Comme à l’accoutumée, le festival exposera également ses coups de coeur ; Imagine me and you revisité pour l’occasion et Summer storm. Des séances lycée seront pareillement proposées autour de la thématique de la découverte de soi. Pour mener plus loin encore la réflexion autour des sujets de Reflets, deux documentaires Français suivis d’un débat seront présentés afin de discourir des discriminations, des combats d’hier et d’aujourd’hui. « Hier encore et aujourd’hui toujours ! » Preuve qu’un long chemin est encore à parcourir dans l’acceptation des différences et des choix sexuels de chacun.

Tel le reflet de la société actuelle, le festival cultive sa différence en diversifiant sa programmation hors des salles obscures. Avant et pendant le festival, des soirées musicales et festives, expositions et rencontres-débats seront organisés avec de nombreux partenaires de la ville. Cette année, aux côtés des alliés habituels que sont les 3G, le Trash et La Casa no name, deux nouveaux lieux se sont joints à l’évènement. La multiplication des espaces favorisant ainsi la rencontre de différents publics autour de propositions artistiques audio-visuelles et musicales éclectiques.

Aux antipodes des gays pride affichant l’homosexualité dans une déferlante rose stéréotypée, ce projet artistique et humain conduit à une réflexion et à une ouverture en douceur sur ces sujets encore tabous. Résolument invitation à un voyage en images et en musique, cette manifestation originale et ambitieuse a essentiellement pour vocation de faire évoluer les mentalités. Un festival au programme de qualité à découvrir de toute urgence quelles que soient nos différences et préférences…pour qu’à l’inverse de ce que disait Chamfort, la vie ne soit pas seulement un miroir dans lequel l’homme ne peut voir que le reflet de lui-même.

vendredi 20 avril 2007

L'Inattendu de Fabrice Melquiot

Fabrice Melquiot, trentenaire rêveur et solitaire, comédien de formation s’est rapidement tourné vers l’écriture. Y consacrant aujourd’hui l’exclusivité de son temps, il crée des pièces de théâtre aux accents lyriques qui lui ont valu la reconnaissance de ses pairs et du public. Oscillant entre suivi des répétitions, écriture et voyages comme source d’inspiration, Fabrice Melquiot nourrit ses textes du monde qui l’entoure. Ayant rejoint la Comédie de Reims en 2002, il y créera L’inattendu en collaboration avec Emmanuel Demarcy-Mota, metteur en scène et ami. Jouant ici et ailleurs sur la thématique de l’acceptation de la mort par la prise de conscience de cette décomposition qui nous guette tous, il nous propose des œuvres qui naissent de la société pour mieux s’en élever sans jamais rien laisser au hasard, à l’inattendu... (© photo : Alain Hatat)

Dans une danse d’amour, un homme à la peau basanée dépose sur son lit une femme svelte, vêtue de noir, à la tignasse ondulée aussi sombre que son habit. Sur le plateau, la sobriété est de mise. Quelques doux rayons de lumières et une musique d’une profondeur déchirante, enivrante et saisissante. Une chambre et ses quelques meubles, un lit, une vitrine emplie de bouteilles colorées, une penderie, une table et des voilages. Liane s’éveille dans ce lit si désert ; veuve trop tôt, elle est dévastée et enragée. S’adressant à son homme, elle l’implore de revenir sans se rendre compte de l’absurdité de son plaidoyer. Consciente pourtant « qu’il faut parfois s’éloigner pour mieux se retrouver et se toucher »…
Touchante, assurément elle l’est, allant même jusqu’à dire la souffrance avec le sourire. A la fois femme enfant et femme mûre éperdument amoureuse, elle touche les cordes les plus profondes de l’imaginaire et de la sensibilité de chacun. Retrouvant chaque jour des bouteilles colorées au pied de son lit, comme des bouteilles à la mer, elle assimile cela à des messages envoyés par son mari. Elle décortique ce signe pour lui offrir une signification. Ce sera ainsi : chacune de ces fioles renfermera désormais un souvenir partagé avec ce cher disparu. Alternant soliloque et monologue dirigé vers cet absent, perdue dans cet amour à mort, elle frise à plusieurs reprises la folie. Répétant mainte fois « Je vais me laver les oreilles », « les mains géantes de mon mari », « Je vais effilocher des hamacs », elle témoigne du manque provoqué par l’absence et du laisser-aller que celle-ci entraîne inexorablement. Avec une sensibilité à fleur de peau, elle nous laisse pénétrer dans cet univers où elle tente du mieux qu’elle peut de survivre à la mort de son mari, son « petit chou, son tigre ». « Interdit le bonheur dans ce monde » dit-elle. Son avenir ? L’improbable retour de cet amour, de cet absent. Les années passent, elle se languit toujours plus. Prisonnière de son monde intérieur, elle efface la réalité qui l’entoure, oubliant même que la guerre fait rage au bas de ses fenêtres. « Mon tigre, dis moi que ce n’est qu’un mauvais rêve ». Faisant fi des malheurs du monde, enfermée dans son propre sort, cette Terre lui paraît bien étroite, telle une camisole de force. Son avenir est noir, elle ne souhaite que mourir sans pour autant s’octroyer cette délivrance. « Je radote mon petit chou et sur le radeau, c’est toi qui tiens les rames ». Liane, bien plus qu’un prénom, un véritable « lien » qui, tel une plante vivace, la cadenasse dans cet univers intime et sombre.
Puis un nouveau jour s’élève et ces fioles, symboles d’une vie passée, deviennent l’évidence d’un avenir à construire seule. Tels les lois et les codes, tout y est inscrit. La rencontre avec un certain Jésus, boucher de profession. Dans ces flacons, commence alors une nouvelle vie. Partir devient une évidence. Partir pour trouver les clés de ces menottes qui l’entravent, partir pour ne plus croire à Jésus et pour se rincer l’œil du malheur des autres afin d’oublier le sien... Cinq années s’écoulent, devenue photographe, elle revient de ce tour du monde. Témoin des guerres, des ravages du sida en Afrique et de toute cette misère, lourde est l’éponge de son œil. Bouleversée et grandie par cette prise de conscience, le deuil est fait. Son épopée l’a métamorphosée. « Revenir à soi et reconnaître une autre. Revenir à toi et ne plus te reconnaître ». L’ombre planante de son mari a disparu de cette chambre. Consciente que de cet amour il n’y a plus rien à espérer, elle entre à nouveau dans la vie.
Fabrice Melquiot nous offre ici toute la richesse de son art. Une écriture fluide, poétique, où se côtoient un raffinement de l’expression et un vocabulaire d’une quotidienneté évidente. Le texte, débité avec une subtile énergie, est parsemé de rimes fraîches et innocentes à l’image de l’héroïne. Wilma Lévy joue avec brio ce rôle de Liane, une femme à la fois triste, drôle, touchante et excessivement émotive. Cette pièce permet à chacun de sonder les rapports troubles entre l’autre et soi, entre la personne et le citoyen et tente de faire réfléchir autour de la question : Comment trouver un équilibre entre son individualité, sa relation à autrui et sa conscience civique ?
Reçue par un tonnerre d’applaudissement, la comédienne une fois son habit de scène jeté, émue jusqu’aux larmes, en demeure bouleversante. Le coeur soulevé de manière « inattendue », le public reste rêveur de la prestation de cet archétype féminin totalement anachronique, à la fois Antigone, Pénélope et femme d’aujourd’hui...« Inattendu…un mot pour tenir debout aujourd’hui. Ni souvenir, ni avenir ».

mercredi 18 avril 2007

Marseille en fête

© Atalante / Paris

La ville de Marseille organise pour la 12ème année consécutive son festival. Celui-ci s’articulera autour de quarante soirées du 19 juin au 13 juillet et se déroulera dans neuf lieux insolites de la ville. Cet évènement né en 1996, a pour ambition de « favoriser l’éclectisme, l’émergence de nouveaux talents et contribue à la candidature de Marseille au titre de capitale Européenne de la culture » selon Jean-Claude Gaudin, maire de Marseille.
Pluridisciplinaire et originale, la programmation offre des créations de premier choix produites par des professionnels confirmés venus d’horizons divers. Danse, expositions, cinéma, concerts et ateliers variés se rencontreront autour du « je », pronom à la fois singulier et pluriel. Suivant ce thème, le public pourra au fil des représentations creuser sa vie, replonger en enfance, rêver, s’inventer, se métamorphoser. Douce glissade du « je » au jeu ou profond questionnement sur l’explication de soi-même, chacun trouvera sa place dans ce spectacle. Ces manifestations auront lieu tour à tour au parc Henri Fabre, au théâtre de la sucrière, au cercle des nageurs, au théâtre de La Criée, à l’espace muséal Villeneuve-Bargemon, à l’auditorium du Pharo, au studio Kelemenis et au Musée d’art contemporain. Par la diversité de ces espaces, le festival de Marseille sera réellement, comme le souligne Apolline Quintrand – directrice du festival, « un lieu de rencontre, de partage et de découverte ».
Cette année vingt-cinq artistes, inspirés par cette idée du double « je », ont répondu présents à l’appel. Méditatif ou perturbateur, chacun d’entre eux a su avec une incommensurable inventivité recréer son univers. De la navigation chorégraphique en 3D de Seule avec loup à la jouissive complexité du pyromane Max Black, en passant par l’extase de la lenteur proposé dans Waterproof, tout semble en adéquation avec cette citation, véritable axe de réflexion du festival : « Que fais-tu tout le jour ? Je m’invente » (Paul Valéry).
Comme le mentionne Alain Hayot, vice-président du conseil régional – délégué à la culture, « La culture, c’est le coeur d’un projet de société ». En cela, de nombreux partenaires publics ont su se mobiliser pour offrir à cet évènement les moyens nécessaires à sa réalisation. Tout d’abord, la ville de Marseille, les mairies des 15ème et 16ème arrondissements, le conseil régional, le ministère de la culture, la préfecture des Bouches-du-Rhône et Euroméditerranée. A leurs côtés, de nombreux mécènes nationaux dont les principaux sont la Caisse d’épargne avec la Fondation Ecureuil et la Société Marseillaise de crédit mais aussi des mécènes étrangers : l’Institut Néerlandais, l’Ambassade des Pays-bas et le British Council. Cette année, le festival a également acquis quatre nouveaux mécènes venus soutenir certains spectacles: Voyage du monde, Agence Encore nous, Omniciel et Pom.
Ainsi Marseille, chef lieu de la deuxième région culturelle de France, doit être aux yeux de son maire « fraternelle, généreuse et culturelle ». Ville cosmopolite, métropole au patrimoine considérable au carrefour des cultures entre les deux rives de la Méditerranée, en recevant des artistes internationaux Marseille perpétue son identité. Par ce festival aux allures contemporaines, le « je » devenu jeu, multiple et singulier, offre à la cité phocéenne, unique mais plurielle, toute la splendeur de sa diversité. Dans un souci de proximité avec les habitants et dans une volonté d’accès accru à la culture, le festival de Marseille aura lieu dans de nouveaux espaces l’année prochaine, réintégrant ainsi le périmètre Euromed.
La location des places est d’ores et déjà ouverte sur Internet, et à partir du 2 mai sur les lieux de vente et par téléphone. Les billets pourront également être achetés sur le lieu de spectacle une heure avant le début de la représentation.

mardi 17 avril 2007

Une bouffée d’Oxygène au port autonome

Oxygène d’Yvan Viripaev, mis en scène pas Galin Stoev, était présenté du 11 au 14 Avril par Le Merlan au Port autonome. Un lieu atypique pour un message novateur et inspiré. Accueillis dans une atmosphère feutrée de rose, les spectateurs ont d’emblée bénéficié d’une ambiance de douceur et de volupté. Après un petit verre, Jean-Marc Diebold a gentiment incité le public à rejoindre ses places par un « Dirigez-vous vers la porte pour l’embarquement et bon voyage ». Le ton était donné, nous partions pour un certain périple…Et les voyages forgent la jeunesse…
Sur scène, un Dj, trois comédiens et autant de micros…Mis à nu, avec pour seules lumières quelques spots placés au-dessus des micros, le plateau offre toute sa simplicité d’existence. Tout commence par la narration de Sacha, qui raconte l’histoire d’un ami qui a tué sa femme à coups de pelle. De cette histoire singulière où l’on nous présente les poumons humains comme des danseurs va naître toutes les compositions de la pièce. Dix tableaux à la manière des dix commandements bibliques, ou plutôt dix contre commandements qui s’attellent à dépeindre les crises mondiales de ce XXIème siècle décadent. « Tu ne tueras point », « Tu ne commettras pas l’adultère », « Tu ne jugeras point », « Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés »…Autant de commandements pour autant de critiques de la société. Alternant entre monologue, dialogue et échange avec le public, Sacha et Sacha nous livre un impulsif concert de pensées et d’inquiétudes sur ce monde qui ne tourne pas rond. Dans un rythme endiablé, leurs paroles sont offertes au public à la manière du Slam. La musique, comme la danse, viennent s’adapter à la cadence du texte comme pour mieux le soutenir. Leurs propos sont entrecoupés d’un refrain insurgé, loufoque et distinct pour chaque composition : « Ne regarde pas avec convoitise, cela veut dire ne convoite pas dans ton coeur. Celui qui regarde une femme avec opacité ne convoite pas et est cadenassé. Celui qui regarde une femme avec opacité ne cherche pas à la combler mais à se vider », « Un gars qui passe la nuit à se branler sur la photo d’Anna Kournikova, ou à enculer un célèbre présentateur de télé, et qui le jour suivant fait voter des lois pour lutter contre la pornographie ». Des exemples osés, des termes sauvages pour condamner tour à tour la mauvaise foi, la société de consommation, la religion et ses dogmes, les idées préconçues, les évènements du 11 septembre, les guerres, ceux qui en leur nom se permettent de juger pour tous et le sens qui a perdu son sens. Pris par ce rythme trépidant, l’heure de spectacle semble n’être que quelques minutes. La représentation s’achève alors sur une ultime composition intitulée Le casque sur les oreilles, seuls les musiciens entendent la musique…leur propre mélodie, celle qui vient de l’intérieur. Une litanie qui amène à la question du choix de vie : « Où serais-je si je n’étais pas là ? Qui serais-je si… ? » Ouverture du hangar sur le port qui nous livre ses intimes lumières nocturnes, leurs reflets dans l’eau et ce grand silence qui laisse à chacun le temps d’assimiler le message. Cette chronique de deux fruits de l’arbre céleste capturés dans la nudité de leurs ressentis s’achève sur le récit de leur histoire : « Deux Etres humains de la jeunesse actuelle, Sacha et Sacha, qui vivaient paisiblement…mais arriva le XXIème siècle…Ils cherchèrent alors l’oxygène ».
Céline Bolomey, Gilles Collard, Stéphane Oertli et Antoine Oppenheim (Dj) offrent avec talent, le seul élément nécessaire à la vie…celui que l’on trouve dans l’amour : l’oxygène. De ce don, le spectateur repart avec un peu plus de liberté, conscient qu’aucun élément qu’il consommera ne sera aussi fort que celui-ci. Car être conscient de respirer, c’est réaliser que l’on vit et qu’il faut respecter la vie. Dressé contre cette main invisible qui contrarie la liberté, l’Oxygène permet de ne pas suffoquer à cause des injustices qui gouvernent le monde.
Un lieu brut, un langage familier voire grossier pour un message cru, brutal mais tellement juste et justifié. Accueillis sur des bancs d’école pour mieux se mettre au ban de cette société que l’on décrit et décrie ici, le spectateur oscille entre l’intime et le global. Oxygène du préfixe oxy-, du grec ancien oxus : aigre, acide et du suffixe –gène du grec ancien gennan : qui engendre. Semblable au nouveau-né qui crie à sa première bouffée d’air, l’oxygène engendre donc dans la douleur. Tel est le ton de la pièce…Oxygène contribue à une prise de conscience amère du grand désordre mondial tout en ouvrant les portes d’une renaissance vers un monde meilleur. Un univers où chacun chargé de son propre oxygène peut entreprendre librement sa vie en écoutant sa propre voix. Ce théâtre provocateur, vindicatif mais doucement drôle s’adresse à cette génération du XXIème siècle sur « la tête de laquelle, quelque part dans le froid cosmos, vole à une énorme vitesse une gigantesque météorite » (Ivan Viripaev). Une pièce finalement pleine de fraîcheur et d’espoir dans cette société qui à elle seule se sclérose. Un message de paix pour tous et pour soi-même que Le Merlan perpétue en offrant au sortir de la représentation une bouffée d’oxygène en sachet. Comme une trace de ce qui fera, si on le préserve, danser longtemps encore nos poumons…

vendredi 13 avril 2007

Premier long métrage pour Bernard Werber...


Né en 1961 à Toulouse, Bernard Werber écrit sa première nouvelle à l’âge de sept ans. Il commence l’année de son bac la rédaction de l’ouvrage qui deviendra un best-seller mondial, Les fourmis. Se lançant un temps dans le journalisme, il reviendra à son premier amour, l’écriture, dès 1991 en commercialisant Les fourmis. A la croisée de la prospective, de la sociologie, de l’anthropologie et de l’exploration des mythes, il porte un regard novateur et profondément original sur l’homo sapiens du début du XXIème siècle. Après avoir commencé par l’écrit, il persévère avec le théâtre en 2004 pour arriver au cinéma par des courts métrages, puis avec ce premier long métrage produit par Claude Lelouch…Nos amis les Terriens qui débarque dans nos salles obscures le 18 avril.
Après avoir progressivement scruté l’Homme par le regard des fourmis, des anges et des dieux…Nos amis les Terriens, long-métrage à la fois fiction et documentaire, dépeint ici l’Humain au travers des commentaires d’un extraterrestre, auquel Pierre Arditi prête sa voix. La question clé est : Que pourraient bien penser les extraterrestres s’ils nous observaient ? Tout commence dans une pièce obscure, suspendue dans le néant, où est séquestré un couple d’Etres Humains…petit A et petit B. Par l’analyse de ces deux spécimens « Terrienaux », les thématiques abordées sont celles de l’avenir de l’humanité, des rapports dominants / dominés, des codes du jeu social et du poids du regard de l’autre. Sur un ton ironique et un tantinet provocateur, tout ce qui compose notre quotidien est scruté au travers d’un télescope étranger. L’effet miroir déformant est troublant. Enfermés comme des animaux, car telle est la comparaison souhaitée par le réalisateur, ces humains sont rendus à leur propre nature. Les extraterrestres, après observation de leurs agissements envers ceux que l’on nomme les « bêtes », vont agir de la sorte avec ces humains. L’extraterrestre devient l’humain, l’humain devient à son tour l’animal. Leur offrant, au fur et à mesure, des vêtements pour cacher cette nudité qui semble les gêner, une roue pour se divertir tel un hamster, des toilettes car l’humain ne rend pas ses déjections à la nature…. Tel est le ton du film…Autant de constatations qui répondent aux diverses interrogations de ces étrangers venus observer la bizarrerie humaine. Les Terriens sont-ils comestibles ? Sont-ils étanchent ? Sont-ils intelligents ? Comment gèrent-ils leurs déchets ? Des questions plus loufoques les unes que les autres qui, sous leur apparente légèreté, nous poussent à jeter un regard inquisiteur sur notre propre mode de fonctionnement. Nos homologues débarqués d’ailleurs vont peu à peu offrir des congénères aux premiers cobayes…comme lorsque nous offrons à notre animal de compagnie un de ses semblables pour éviter son éventuel ennui. De ce mélange va se créer des tensions, des relations de domination conflictuelles qui aboutiront à la mort de l’un d’entre eux. Coincé dans son rôle, l’humain éprouve les plus grandes peines à modifier son rang, la violence devenant alors un outil. Aux travers de différents traits Terriens, le réalisateur nous montre que l’Homme mord là où il a peur d’être mordu. Les peurs de chacun nourrissant les rapports de force, venant à leur tour compliquer la vie de Terrien. Bernard Werber nous livre une douce critique de l’humain et de ses agissements. Il nous dépeint le portrait d’Etres qui nous ressemblent…Ce film « Ovni », tel que le qualifie le réalisateur, transforme ceux qui le voient. Il entraîne par le choc des images et la véracité criante de celles-ci, vers une introspection à la fois provocante et séduisante…

Rencontre avec celui qui, par ses œuvres, tente de répondre à la question :
Qui sommes-nous ?

Ce film se place dans la continuité du court métrage et de la pièce de théâtre Nos amis les humains. Comment est né ce projet de long métrage ? Claude Lelouch en tant que producteur est-il un choix personnel?

J’ai toujours voulu faire du cinéma, avant même d’écrire des livres. Les fourmis étaient un scénario avant de devenir un livre. Beaucoup de producteurs ont eu peur de ce projet, seul Claude Lelouch a été intéressé et est allé jusqu’au bout. Ce que je fais dans mes livres ressemble beaucoup à du cinéma Américain et coûte donc cher à mettre en scène. Cela rebute les producteurs. Je n’ai donc pas choisi Claude Lelouch, mais c’est un Etre humain génial. En fait, il avait tellement ri devant le court métrage Nos amis les humains, qu’il a souhaité poursuivre l’aventure. Il l’a produit avec ses propres économies. Claude m’a dit : « Comme ça on n’a pas de compte à rendre ». On est donc allé jusqu’au bout.

Ce film dépeint l’homme dans tous ses comportements. Quelle était votre volonté pour ce film ? Quel message souhaitiez-vous transmettre ?

J’ai souhaité dans toutes mes œuvres observer les Hommes différemment. Je recherche un effet miroir avec une perspective. J’ai aussi souhaité montrer que ce que l’on fait aux animaux est malhonnête. Pour moi ce film est une autodérision complète dans laquelle cohabite trois niveaux de langages : ce que l’on voit, la voix off et la musique. Ce film est un tel Ovni, que je ne sais pas si le public sera au rendez-vous. Il est fait pour les curieux et en cela c’est un film fragile qui a pour but de proposer autre chose avec toute la difficulté de proposer autre chose.

Comment s’est déroulé le tournage ?

Il y a eu 3 mois de tournage. Au début nous étions seulement quatre. Au téléobjectif, j’observais les gens dans la rue et puis les autres allaient demander leur autorisation pour être filmés. Pour toutes les scènes de rencontres entre humains, nous étions alors vingt dans l’équipe. Pour les scènes en studio, nous sommes alors devenus un gros village de 200 individus. Un défi à gérer. Ces scènes en studio concernent les effets spéciaux qui représentent ¼ du coût du film.

Les acteurs ne sont pas connus pour la plupart. Comment expliquez-vous ce choix ?

Nous avons effectué un casting avec 400 personnes. Il fallait que les acteurs ressemblent aux gens dans la rue. Puis c’est mon premier film, autant que je fasse connaître autre chose, d’autres personnes. Et je ne vois pas pour quelle raison les extraterrestres devraient en particulier rencontrer des célébrités… (Rire)

lundi 9 avril 2007

Nouvel album pour Dawta Jena & Urban Lions

Dawta Jena, artiste d’origine Arménienne de 24 ans, écrivant des textes depuis l’âge de 14 ans s’est lancée très tôt dans l’aventure musicale dans la ville où elle a grandi, à Vitrolles. Chantant Brel, Brassens et Barbara dans les premières parties de sa professeur de chant, elle s’est rapidement éprise pour la scène. Aujourd’hui, femme sensible, touchante, inspirée, citoyenne du monde et révoltée, elle nous offre son message de paix. Dawta Jena & Urban Lions, groupe né en 2002 à Marseille de l’amitié entre Jena, Vince, Fab et Alex, nous livre une musique du monde dans laquelle se mêlent harmonieusement reggae roots, jazz et sonorités orientales. Une fusion des genres où les sentiments et le message occupent la première place. A présent accompagnée de ses huit musiciens, Dawta Jena vient de sortir son second opus intitulé Halleluhjah. A l’occasion de ce nouvel album, j'ai souhaité rencontrer cette artiste engagée qui délivre si délicieusement son souffle de tolérance dont l’humanité a bien besoin…

Muriel Tancrez : Le groupe existe depuis 2002, la musique a-t-elle toujours été une évidence pour toi ?

Dawta Jena : Non, la musique n’a pas toujours été une évidence. Je n’ai pas appris la musique mais j’ai grandi dans la musique. Lorsque j’étais dans le ventre de ma mère, elle me passait du Bob Marley. Ce qui compte pour moi, c’est l’expression. A l’âge de 14 ans, j’étais déjà dans l’observation des injustices, et pour moi la musique était la forme la plus universelle pour faire passer mon message, pour toucher le maximum de personnes.

M.T : Lorsque l’on vous écoute jouer, on se dit : « Ce reggae là est différent de ce que l’on a l’habitude d’entendre ». Comment expliques-tu cette différence ? Et comment définis-tu ton style musical ?

D.J : C’est une musique qui a une âme. C’est la seule ligne conductrice. C’est un message de paix, d’unité et de tolérance. Dans l’histoire de l’humanité tu as énormément de peuples, d’ethnies qui ont déjà une âme…Toutes ces influences là ont, dans l’esprit universel dans lequel je vis, un impact sur ce que je réalise. « Musique du monde » est une expression qui me plaît, car c’est la musique du « Monde ». Je ne peux pas me situer dans un style car je ressens des émotions trop variées. Pour le choix de la dominante reggae, là c’est mon goût personnel qui s’exprime. Ma musique est quelque chose de très intuitif. Ce que j’écris est très intime. On ne peut pas vraiment dire que nous sommes dans une mouvance de groupe. Chaque musicien a sa place et s’épanouit à sa place.

M.T : La présence d’un violon dans une musique à dominante reggae est plutôt rare. D’où est née cette idée ?

D.J : Je cherchais un violoniste car quand j’écris ma musique, j’ai déjà tout dans la tête. Si tu veux j’avais un violon dans ma tête (rire). J’ai donc cherché un musicien et Sitraka m’a répondu. Je n’aurais pas pris non plus n’importe quel violoniste. Sitraka est quelqu’un qui humainement a une richesse énorme. Puis, il est d’origine Malgache, venant d’une famille immigrée, on a donc des ressentis assez proches. Sa rencontre m’a d’autant plus poussée à lancer mon album solo, très acoustique où les textes suivent une respiration et ne sont pas esclaves d’une rythmique. Et j’ai aussi créé une autre formation, avec certains de Urban Lions, pour cet album qui se nomme Brillant échec que l’on enregistre actuellement.

M.T : Quel est le but, le message que toi et le groupe souhaitez faire passer ?

D.J : Je regarde l’histoire dans sa globalité et je me dis qu’il y a une harmonie possible. On peut y arriver, ce n’est pas une utopie, et si c’est une utopie...il faut y arriver. Il faut toujours être très utopique, c’est là qu’il y a les plus beaux trésors. Ma devise c’est : « Ne jamais essayer de rentrer chez soi avec les clés du voisin ». Chaque personne a sa propre clé. En étant soi-même, on peut trouver l’harmonie avec les autres.

M.T : Bon nombre de tes textes reprennent les thématiques des grands génocides, une certaine critique de la société et de l’humanité telle qu’elle se comporte. Que voudrais-tu voir changer dans nos modes de vies et dans la société actuelle ?

D.J : En fait, j’aimerais que tous les jours les individus aient conscience d’être vivants. Qu’ils considèrent l’autre comme l’autre et non pas comme un moyen ou un obstacle. Si les personnes sont heureuses, elles seront heureuses d’être sur Terre et ne continueront pas à la détruire. C’est ça que j’aimerais changer…

M.T : Tu te définis sur ton site comme quelqu’un de « rebelle, nerveuse et toujours heureuse ». Mais qui est exactement Dawta Jena ?

D.J : (rire)…Je suis Jena. Mes parents m’ont appelé Julie à la naissance. C’est le prénom qu’ils m’ont donné sans me connaître. Aujourd’hui, je peux dire moi-même qui je suis et je suis Jena. Je pense que je suis à la fois actrice et observatrice…à la fois blanche, à la fois noire. Je suis toutes les contradictions de ce monde. Je suis à la fois stable et déséquilibrée…et je suis quand même pas mal équilibrée finalement (rire). Je fais partie de ce monde mais je suis aussi un peu dans la lune…et c’est ma seule richesse en même temps. Je suis une femme et à la fois un bébé…Je n’ai pas d’entrave. Je suis libre comme un bébé qui a juste besoin de manger, de boire, de voir sa mère, qui aime s’amuser et qui pleure aussi pour des caprices…ou parce que le monde est trop injuste.

M.T : On observe dans tes textes un attachement profond aux origines Arméniennes transmises par ton père. D’où vient cet attachement si fort ? T’es-tu déjà rendue sur la terre de tes ancêtres ?

D.J : Non, je n’y suis jamais allée. Mais ce sera fort le jour où j’irai. Je ne me sens pas appartenir vraiment à un endroit de la Terre et pourtant il y a quelque chose qui m’attire là bas. Pourquoi j’y suis attachée…j’aime les personnes qui m’ont transmis cette culture, tout simplement. Cette culture qui est faite d’une grande liberté au niveau de la foi et du mysticisme, d’être un peu l’esprit et de faire partie d’un esprit, une certaine légèreté face à la vie et un recul face aux Etres humains.

M.T : Ton nom est Jena Nersessian, mais ton nom de scène est Dawta Jena. Que signifie Dawta ?

D.J : Dawta car je suis très influencée par la culture rasta depuis toute petite. Je voulais le mettre en avant sur mon nom de scène, mais je ne voulais pas m’appeler Sista car ça a une connotation trop religieuse. Dawta c’est la fille, et je me sens la fille de Jah, de l’esprit universel et de mère nature. Et puis c’est un titre qui est peu utilisé contrairement à d’autres. Dawta c’est libre…et ça rime (rire).

M.T : Lorsque l’on s’adresse à toi, tu es calme et parles posément. Une fois sur scène, une énergie incroyable se dégage de toi. Pour reprendre les termes de certains spectateurs « tu as l’air en transe » et tu as une aura époustouflante. D’où te vient cette force ?

D.J : J’ai conscience de ça car on me l’a dit. Pour savoir qui je suis, il faut me voir sur scène… Ceux qui sont impressionnés par moi le sont peut être car, contrairement à certains qui s’enferment dans des carcans par peur d’être jugés, moi je suis juste libre d’être ce que je suis. Alors je ne sais pas si c’est tellement honorable, c’est peut être juste qu’il y a certaines personnes qui aimeraient avoir cette liberté. En tout cas, je ne cherche pas à plaire. Mais c’est vrai qu’en société, je me montre plus « clean » (rire)…Sur scène, il n’y a pas de passé, de présent et de futur…Le temps est suspendu…comme les jardins de Babylone.

M.T : Sur ton site, on peut lire que tu es influencée par Gandhi. En quoi exactement ?

D.J : Je suis née dans une famille athée, je n’ai pas eu d’éducation religieuse. En grandissant, je me suis intéressée à ces rassemblements de gens autour de religions. A l’est, j’ai fini par voir Gandhi, un pacifiste. Quand je parle de paix, je pense à Gandhi. Je pense que l’on a pas mal de choses à apprendre de cet homme. Il a dit cette phrase que j’aime beaucoup : « Si la non-violence est l’avenir de l’humanité, le monde appartient aux femmes ».

M.T : La France et Marseille fêtent pendant un an l’Arménie. Que représente pour toi cet évènement ?

D.J : Mon grand-père n’a pas eu le temps de voir la reconnaissance du génocide. Alors je n’ai pas de rancœur, mais l’année de l’Arménie en France…L’Arménie, je la vis au travers de ma propre famille…Et en même temps, je trouve ça bien que l’on montre aux divers émigrés de France qu’on reconnaît leur histoire et que l’on a une pensée pour eux. Il faudrait que le métissage soit constant, que le terme d’égalité existe une fois pour toute.

M.T : Le reggae est un style musical où les voix dominantes sont majoritairement masculines. Est-il difficile pour une femme de s’affirmer et de se faire connaître dans ce registre musical ?

D.J : Je suis une femme et je pense être en même temps toutes les autres femmes qui vivent sur cette Terre. Ces femmes que l’on mutile, que l’on bat à mort, à qui l’on met un voile sur la bouche pour ne pas qu’elles parlent. Je ne suis pas torturée mais je suis consciente que notre monde doit évoluer avec la femme. Tout simplement être une femme et chanter ce style de musique se réduit à peu de choses. Je suis Arménienne mais j’aurais pu être noire…Donc un homme qui va mal me juger parce que je suis une femme, cet homme-là malheureusement je ne peux même pas le considérer car on n’évolue pas sur la même sphère.

M.T : Ton deuxième album Halleluhjah vient de sortir fin mars. Quel est le message principal qu’il transporte ?

D.J : Il ne porte pas de message précis, il est une continuité de la pensée globale lancée par le premier album. Toutes les œuvres à venir sont dans cette continuité, se nourrissent d’émotions multicolores et se nourriront en plus de mes expériences de vie à venir.

M.T : Le premier album, Feelin’ roots, n’avait pas été commercialisé. Vas-tu à présent le commercialiser ? Une date de sortie est-elle prévue ?

D.J : Le premier album sera commercialisé bientôt, tout de même en tant que premier album. Il y a une grande cohérence entre les deux albums. Tout comme dans la logique des plasticiens…pour comprendre le cheminement de ma pensée, il faut reprendre les oeuvres dès le début.

M.T : Comment vois-tu évoluer le groupe à l’avenir ? Un troisième album est-il déjà en projet ?

D.J : Un troisième album avec des rythmes Africains est prévu, Amazone, sur la condition de la femme justement. Comment je vois évoluer le groupe…J’ai confiance en moi et j’espère vraiment par amour et par amitié que les musiciens avec qui je travaille continueront à me suivre. Actuellement, j’aimerais trouver des choristes pour m’accompagner comme des touches de couleur sur certains morceaux. Peut-être que ce seront les musiciens du groupe qui participeront à ça.

M.T : Pour clore cette interview, si tu devais adresser un message à nos lecteurs. Quel serait-il ?

D.J : (réflexion) J’espère que la page qu’ils vont tourner les ramènera à moi…



Retrouvez leur album Halleluhjah (Production : Dawta Jena / Distribution : Mosaïc music) dans toutes les Fnac de France, les Planète Saturn et par commande sur le site du groupe et Virgin.

Venez les découvrir :
- le 21 avril à La machine à coudre à 21h30
- le 26 mai à la faculté Saint-Charles à partir de 22h (concert organisé pour soutenir l’association de solidarité internationale Phenix, gérée par des étudiants de l’IUP environnement, technologie et société ; qui participe à l’amélioration des conditions d’hygiène, de santé, d’éducation et de gestion de l'environnement de populations en difficulté)
- le 23 juin à la Maison pour tous - La grognarde
Retrouvez les autres dates sur
http://www.dawta-jena.com/

dimanche 8 avril 2007

La création d'entreprise au féminin

Les 26 et 27 mars derniers se tenait au Parc Chanot la 9ème édition du forum régional de la création d’entreprise. Cette manifestation organisée par l’association Génération entreprendre rassemblait 100 exposants et 5 villages de stands regroupant les acteurs de l’aide à la création. Pour la première fois cette année, le forum a décerné aux côtés de ses prix habituels le prix coup de coeur de la création et de la reprise au féminin. Face au fossé subsistant encore entre hommes et femmes à des postes de direction, en particulier dans l’univers de la culture, quel est le positionnement de la région en matière d’aide à la création ?


Interview de Michèle Tregan, conseillère déléguée à l’emploi à la région et présidente de la commission d’appel d’offres


Muriel Tancrez : La création d’entreprise est un axe majeur des politiques économiques régionales. Qu’en est-il en région Provence-Alpes-Côte d’Azur ? Quels sont concrètement les types d’aides apportés ?

Michèle Tregan : La création d’entreprise est en effet une priorité en PACA dans le cadre d’une économie sociale et solidaire, et dans celui de la politique de l’emploi car elle permet de sortir du chômage. Toute création d’entreprise est louable et appuyée à condition d’être pérenne et de ne pas créer plus de précarité par la suite. Et en cela, la région offre un accompagnement financier, psychologique, marketing et managérial. Pour ce faire, nous proposons des aides directes sous forme de prêts à la création et de prêts à la transmission pour assurer la filiation des entreprises. A leurs côtés, nous finançons d’autres aides indirectes pour lesquelles des opérateurs sont choisis afin d’accompagner les porteurs de projets. La Région délègue également cette activité par le biais des bassins d’emploi, des chambres de métiers et des relations de proximité. Elle finance certaines structures de créance pour pallier le manque de prise de risque des banques en matière d’accompagnement à la création. Aux côtés des banques, de nombreux organismes soutiennent la création notamment les 22 plateformes d’initiative locale présentes en PACA par l’intermédiaire d’un prêt d’honneur. Prêt pour lequel il n’y a ni intérêt, ni la nécessité de garanties personnelles. L’ADI, entreprise spécialiste en gestion alternative s’adresse, quant à elle, à ceux qui n’ont pas accès aux prêts d’honneur. Le CPEM (Centre de promotion de l’emploi par la micro-entreprise) accompagne, quant à lui, dans toutes les démarches de création d’entreprise et aide à l’obtention des financements nécessaires à la réalisation d’un projet. Nous mettons également en place des dispositifs de capital risque pour les entreprises à potentiel. Le conseil régional finance aussi les couveuses qui permettent de tester au préalable l’activité. Ces agencements peuvent d’ailleurs être utiles dans la création d’entreprise culturelle, afin d’offrir un accompagnement et de tester le potentiel de développement. Ce sont l’ensemble de ces formes d’aides qui s’inscrivent dans l’économie sociale et solidaire de la région.


Muriel Tancrez : Les chiffres sont éloquents, 70% des chefs d’entreprises sont des hommes contre 30% de femmes. Face à ce constat, quel est le positionnement de la région en matière de création d’entreprise au féminin ?

Michèle Tregan : La place de la femme est très importante pour la région, c’est un combat général. Nous menons une véritable lutte contre la discrimination homme/femme au sein des entreprises. L’exemple est d’ailleurs montré au sein du conseil régional puisque nous appliquons la parité totale. Les principaux freins auxquels sont confrontés les femmes sont culturels, liés au problème des enfants mais aussi au manque de confiance des créanciers dans la gente féminine. La région s’interroge sur comment lever les freins de la création d’entreprise par les femmes. Et pour ce faire, nous avons la volonté de mener une véritable réflexion de fond sur cette thématique en collaboration avec tous les acteurs sociaux et économiques. Je pense que les femmes doivent aller dans le tronc commun de la création. Une femme n’est pas différente d’un homme en matière de création. Je pense que la place des femmes dans l’entreprise est très liée finalement à celle qu’elles occupent dans la société, et en cela elle est un indicateur du développement d’un pays. En France, depuis 30 ans des organismes spécialisés dans l’information des droits des femmes les aident à mener à bien leurs projets. Le Centre d’orientation, de documentation et d’information des femmes (CODIF) accompagne les femmes d’un point de vue juridique, tandis que le centre national d’information sur les droits des femmes et des familles (CNIDFF) contribue à une prise en compte des problématiques exprimées par les femmes et à un accompagnement dans le cadre du fonds social Européen.


Muriel Tancrez : Cette année pour la première fois a été remis le prix coup de coeur de la création d’entreprise et de la reprise au féminin lors du forum régional de la création d’entreprise. Pourquoi ce nouveau prix cette année ? Quels autres événements sont organisés pour susciter la création au féminin ?

Michèle Tregan : Le prix coup de coeur de la création d’entreprise et de la reprise au féminin a été crée après le constat de ne voir que très peu de femmes dans la création d’entreprise. Nous espérons que ce nouveau prix attirera de nouvelles prétendantes. Aux côtés de cette récompense, le projet Européen « Entreprendre à part égale à Marseille » porté par le fonds social Européen vient apporter des solutions adaptées aux démarches entreprenariales des femmes. Cette action a pour but de permettre davantage de pérennité et d’efficacité aux entreprises touchées par la discrimination hommes/femmes par le biais d’opérations de repérage, d’essaimage social et de sensibilisation. A l’échelle de la ville, la mission locale de Marseille apporte elle aussi un soutien aux femmes.


Muriel Tancrez : Le secteur culturel est particulièrement touché par la discrimination homme/femme aux postes de direction. Quelle est la place de la culture dans la politique d’aide à la création lancée par la région ?

Michèle Tregan : La culture est un secteur économique important et qui de plus possède une âme. Elle demande un grand professionnalisme et en cela c’est un secteur très difficile et précaire. Mais elle permet la continuité du lien social et crée néanmoins de l’emploi. Lorsque l’on parle d’économie culturelle, c’est aussi d’économie au sens large que nous parlons. Ainsi, en tant que secteur de l’économie régionale, le conseil régional est prêt à soutenir toute initiative, en partenariat également avec l’appui apporté aux pépinières et aux incubateurs locaux.

samedi 7 avril 2007

L’Ignorant et le fou

A présent en stage dans une revue culturelle, spécialisée dans le théâtre, vous retrouverez ici quelques unes de mes critiques...

L’Ignorant et le fou présenté du 29 mars au 13 avril 2007 au Petit théâtre de La Criée. D’après le texte de Thomas Bernhard, mise en scène de Célie Pauthe. Durée : 2h / Public : adulte / Genre : Théâtre contemporain, musique.


Dans une loge de théâtre, alors qu’une représentation de La flûte enchantée doit commencer, on attend encore la cantatrice qui doit chanter La reine de la nuit pour la 222ème fois. Le père, un vieillard à moitié aveugle et blasé qui retransmet son idéal de réussite dans sa fille, trompe l’angoisse et l’ennui en s’enivrant d’alcool et du discours obsessionnel d’un médecin…malade bien malgré lui. Les deux comparses laissés à leur solitude au sein de cette petite loge, se laissent aller à leurs travers. Le médecin tentant de comprendre l’état psychique de la diva qui, depuis quelques temps, aurait changé en décortiquant d’une précision effroyable les entrailles du corps humain. Il déambule frénétiquement, allant même jusqu’à déchirer dans un élan discursif sa chemise. Le père, lui, écoute entre deux gorgées ce discours insensé en répétant dans une sorte d’écho des parcelles de phrases de ce bien étrange docteur. Comme à son habitude, la diva arrive enfin bien qu’en retard. Grandiloquente et caractérielle, si suffisante mais si impuissante, elle assène son père de reproches. Tentant dans une succession de gestes mêlés à des spasmes nerveux de se maquiller et d’échauffer sa voix, elle semble fatiguée de jouer sa vie. Le médecin, lui, continue son pseudo monologue, alternant entre réflexion sur le désarroi apparent de la diva et discours obsessionnel décrivant une autopsie médico-légale. Arrive le tour de chant de la diva, les deux hommes sont laissés à leur solitude dans cette loge qui s’obscurcie peu à peu. Le médecin est au sol, étendu de tout son long, perdu dans les méandres de sa folie. Le père, lui, est lentement transporté dans une certaine torpeur angoissante. Jetée de rideau, l’obscurité a envahi le plateau et la salle, à l’exception du père qui, pris de spasmes, sombres dans ses propres ténèbres. Les dernières paroles entendues par le public sont répétées et projetées dans un écho lointain et psychédélique qui nous transporte à la limite de la raison et de l’angoisse. Changement de décor. Attablés, les trois comédiens partagent un repas qui lentement dégénère sur les préoccupations nébuleuses de chacun. La vaisselle faisant les frais de leurs états d’âmes. Le désarroi devient plus fort encore. La fille décide de ne plus jouer à la diva, le père se terre tantôt dans son silence et le docteur, théorisant et moralisant, se lance dans une réflexion sur le succès et le choix de vie…« il n’y a rien de plus fatiguant que d’être une sommité ». Ne se rendant même pas compte que la diva est atteinte de la tuberculose, il se lance dans des démonstrations des plus provocatrices. La fille perd toujours plus de sang et se réfugie dans les bras de son père. Le noir retombe sur le plateau, laissant chacun dans ses ténèbres. Seul le visage du docteur reste éclairé, stigmatisant certainement celui qui est l’icône de la folie ambiante. La pièce se clôture par un « l’épuisement, rien que l’épuisement » lancé par la diva mourante, qui serre contre elle ce père qu’elle a tant maltraité.

La scénographie :
La pièce débute sur une scène fort réduite où les comédiens ne sont pas à plus de deux mètres des premiers spectateurs. Le choix est fait ici, d’offrir une réelle proximité comédien/public. La loge est composée d’un grand miroir au-dessous duquel sont installés les éléments indispensables à la préparation de la diva. Seules deux chaises et un tabouret occupent en plus cette pièce. Les murs, d’un noir mat, font songés par leurs moulures à l’antre d’un opéra somptueux. Au changement d’acte, le décor se module allégrement dans une symphonie bien maîtrisée faisant apparaître les rouages d’une logistique bien étudiée. Apparaît alors une salle à manger où une table et ses convives occupent le côté cour de la scène, tandis que le côté jardin est habité par Winter, le domestique, sagement assis sur sa chaise. Une scénographie soignée et adaptée qui s’adapte correctement au ton et au thème de la pièce.


La lumière et la musique :
La musique est fort bien utilisée et vient jouer ici le rôle de pause, de souffle dans la folie ambiante. Elle donne aussi du réalisme à cette pièce dans laquelle chante une diva. La lumière, quant à elle, donne une force aux sentiments évoqués tout au long de l’œuvre. Le jeu de clair/obscur, minimaliste mais utilisé à bon escient, renforce l’impact des ressentis et donne à la thématique une profondeur angoissante.

Les comédiens :
Daniel Affolter dans le rôle de Winter et Karen Rencurel dans le rôle de Vargo, la costumière, sont justes et dans le ton. Fred Ulysse, en vieillard alcoolique et aveugle, est criant de vérité dans un rôle pourtant pas facile. Pierre Baux, le docteur et Violaine Schwartz, la diva interprètent avec brio leur propre folie dans les traits caractériels, parfois démesurés et outranciers, que la mise en scène leur a prêté. Dans des gestes emplis de tension physique, de crispation et dans leur phrasé saccadé, leur mal-être transparaît plus qu’outrageusement.

Avis général :
Un spectacle explorant avec brio les thématiques de la banalité de l’existence, de la torture de l’intelligence où l’intransigeance de l’esprit apparaît comme un processus mortel. Mais aussi une réflexion sur la fuite, sur la distraction de l’existence par l’existence contre la réalité de la condition humaine, contre l’angoisse de la maladie et de la mort. Thomas Bernhard par le thème de la dissection d’un cadavre nous amène à l’introspection des âmes par la fouille des corps…« Le désir de la mort d’où la peur de la fin ». Un théâtre de sublimation où se débattent des Etres qui par le dépassement de soi tentent d’être. Une œuvre qui pousse par la provocation à la réflexion, voire à l’introspection. Une provocation parfois abusive et injustifiée mais que le jeu d’acteur et le texte font néanmoins oublier. Un zest d’absurde et de dérision pimentent pour finir cette œuvre où l’on rit jaune de ce portrait acerbe de la condition humaine.