dimanche 30 septembre 2007

L’Odyssée du Danube – septembre 2007

Il y a des expériences qui nous confrontent de plein fouet à l’incommensurable limite des mots, s’il en est une, je vous présente l’Odyssée…

Un rêve de gosse

L’Odyssée du Danube, troisième volet d’une biennale débutée en 2001 à l’initiative de l’Institut International du Théâtre Méditerranéen, s’est achevé le 15 septembre dernier après quinze jours de navigation entre Vienne et Bucarest. Quinze jours durant lesquels la vieille Europe et les nouveaux entrants que sont la Bulgarie et la Roumanie ont été rassemblé par l’intermédiaire des arts. Quinze jours d’une épopée épique qui nous a amené dans les grandes cités Slaves - Vienne, Bratislava, Budapest, Belgrade, Svishtov - jusqu’à proximité de la mer noire avec la Roumanie. Parmi les quelques cents personnes embarquées à bord, saltimbanques de tout pays – journalistes - hommes de lettres ou politiques, me voici donc, enthousiaste, émerveillée et emplie de la conviction qu’être ici est une chance. Le périple ne viendra que confirmer ce pressentiment. Quel meilleur message en effet que celui de paix à l’heure où la guerre ronge, parfois en silence, certains pays. A l’heure où la bêtise humaine enfle au péril de trop nombreuses vies. Le Theodor Körner, navire fluvial sur lequel nous allons embarquer, est un bateau pour la paix, un vaisseau lumière dans une société fantôme qui porte en lui l’espoir d’un avenir meilleur. Un avenir où l’Homme serait réconcilié avec lui-même et où l’humanité reprendrait sa place centrale pour une intercompréhension entre les peuples…

Plus qu’un drapeau, un symbole

Une première soirée s’est écoulée où chacun a pu prendre ses repères dans les couloirs du Theodor. Ca y est, le départ est proche et tout le monde se presse sur le pont pour observer ce symbolique instant. Après un solennel discours de Richard Martin, directeur du théâtre Toursky, instigateur de ce projet et maître des lieux, le drapeau arborant le message « Un bateau pour la paix » se hisse lentement et en musique à l’avant du navire tandis que celui-ci prend le large. Aurevoir Vienne…Bonjour le Danube…Nous voguons à présent en direction de la Slovaquie. Cette cérémonie passée, l’aventure pouvait commencer forte de son message fraternel et emplie d’un doux effluve de paix qui semble déjà envahir les participants. L’atmosphère n’est que quiétude et chaleur humaine, chacun se parle, se regarde, s’interroge…s’apprivoise. Dans le Panoramic Bar, cet espace cossu affichant sièges en cuir, décorations florales et moquette estampillée « TK » pour Theodor Körner et non pas pour Toursky – fabuleux hasard que le metteur en scène Wladyslaw Znorko ne manquera pas de relever - chacun prend sa place et ce lieu se transforme vite en un univers surréaliste où se chevauchent toutes les langues dans un rocambolesque brouhaha. Français, anglais, espagnol, arabe, allemand, roumain et j’en passe…Comme dirait le rappeur Soprano, nous sommes entrés en « Cosmopolitanie ». Chacun prend ainsi peu à peu sa place ; leader ou suiveur, expressif ou timoré, acteur ou spectateur. Comme une micro société, rassembler des humains dans un bateau pendant des jours constitue un véritable laboratoire d’étude des comportements. Mais fermons cette fascinante parenthèse ! Dans cette ambiance bon enfant, ce navire fluvial, cet inconnu, va se transformer en quelques heures en véritable antre familiale où chacun semble se sentir à son aise. Et ça n’était que le début…

L’art pour l’échange entre cultures

C’est donc dans cette apaisante ambiance que le périple continua, de minutes en minutes, d’heures en heures, de jours en jours…Car il faut savoir qu’ici le temps avait perdu sa montre. Les heures se métamorphosaient en minutes et les minutes en secondes, comme si le bonheur se voulait toujours trop fuyant, trop fugace ! Même les jours avaient perdu leur ordre…Mais quel jouissif abandon que cette perte de repères ! Nos escales étaient rythmées - plutôt trop que pas assez d’ailleurs - entre les représentations de nos artistes embarqués et les cadeaux culturels que nous offraient nos accueillants. C’est ainsi que nous eûmes droit à des instants d’une émotion si forte qu’on peut parler ici d’instants d’éternité. Le spectacle de Richard Martin, Marie-Claude Pietragalla, Julien Derouault, Didier Lockwood et Caroline Casadesus autour de l’enivrant texte de Léo Ferré « La mémoire et la mer ». Une performance où se mêlent avec une symbiose ultime la poésie, la musique, le chant et la danse, donnant au texte encore plus de corps. Ou bien encore au travers des « flammes du désir », spectacle pyrotechnique dansé proposé par Raymond Laub du groupe F et la danseuse Chimène Costa, au sein duquel la femme est sublimée pour devenir l’icône de l’infinie sensualité. Mais aussi, « Rubayat » mis en scène par Maïa Morgenstern qui incarnait il y a quelques mois Marie, mère de Jésus, dans « La passion du Christ » de Mel Gibson. Elle nous présentait ici, accompagnée de son fil Tudor Istodor, cette pièce tragique du philosophe-poète Omar Khayyâm. Cette œuvre tourmentée qui nous entraîne comme un tourbillon dans nos questionnements, nos angoisses les plus profondes. Quelle est ma place dans l’univers ? Pourquoi suis-je ici ? Pourquoi dois-je mourir ? Autant de spectacles pour autant de moments de partage entre les saltimbanques, ces « Odysséens », et les autochtones des différentes contrées traversées. Entre culture du sud et du nord, de l’ouest et de l’est, entre humains tout simplement…

De ces lieux où l’on se promet de revenir…

Les jours se succèdent et au hasard des escales, il y a des lieux qui nous bouleversent. Des lieux où une remise en question, une remise en place de la pensée s’impose. C’est ce que j’ai ressenti, éprouvé même comme une blessure en entrant dans Belgrade et comme un enchantement en foulant l’herbe trempée du port culturel de Cetate. Entrer dans Belgrade (Beograd en serbe translittéré signifiant la ville blanche) procure une bien étrange sensation…C’est à la fois un plongeon direct, sans concession, dans les horreurs de l’histoire et une confrontation avec une pauvreté omniprésente à laquelle se mêle la sensation de voir se dérouler devant nos yeux les images vieillies d’un film en noir et blanc. Belgrade est une de ses villes où la classe moyenne n’existe pas. Quel choc que de voir des murs portant encore les traces de balles, de passer à côté de bâtiments éventrés par les bombes et les noirceurs des anciens feux de haine…De ces anciens feux de la bêtise humaine – qui ne se sont toujours pas éteints. La télévision banalise les images de violence au point que nous en oublions la réalité qui, ici, nous rattrape vite, nous devance même. S’il est bien un endroit où l’Odyssée devait faire escale s’est ici, auprès de ce peuple meurtri qui porte, plus de dix ans après, les stigmates de la guerre. Insécurité nocturne voire diurne, contrôles draconiens des étrangers et méfiance de la part des serbes planent ici, comme si l’éminence de nouveaux affrontements était effective. Belgrade est la ville des contrastes, des paradoxes où les rues marchandes occidentalisées jouxtent les anciennes rues de la ville dévastée, et où les jeunes femmes au look européen côtoient des mendiants aux traits tirés…Après trois jours passés au cœur de cette ville, le cœur gros et l’âme torturée par les visions auxquelles renvoie cette escale, je quitte Belgrade en me promettant d’y retourner. Notre voyage continue en direction de la Roumanie. Pays qui allait nous offrir un fabuleux trésor…Cetate. Cetate a été l’escale mémorable pour l’ensemble des « Odysséens ». Un véritable paradis sur Terre où nous sommes arrivés sous une pluie battante, dans cette sorte de brouillard accompagnant souvent la rive des fleuves par temps de pluie, de ces embruns qui renvoient à des univers enchantés, peuplés d’elfes et de bonnes fées. Ici, ça n’était pas des fées qui nous accueillaient mais de généreux musiciens Tziganes qui jouaient des airs traditionnels sous cette terrible averse, le sourire jusqu’aux oreilles. Quel fantastique accueil, surréaliste même ! Nous débarquions dans la propriété du poète Mircea Dinescu, personnalité Roumaine bien connue ayant échappé de peu à la mort sous le régime de Ceausescu. Cet endroit perdu quelque part sur une rive du Danube, niché au cœur d’une forêt dense où réside de temps à autre des artistes, où les animaux sont légion et où l’amour règne en maître. Un « no man’s land » du bonheur où le temps s’est arrêté, où le premier distributeur de banque est à 30 kilomètres. Un « ailleurs » indicible où un port a même été crée pour l’occasion alors qu’aucun bateau n’avait accosté ici depuis 50 ans. De l’abyssale limite des mots je ne disserterai pas, elle est effective…ici.

Un véritable laboratoire artistique mouvant

Ce sont de ces rencontres fraternelles, de ces lieux uniques, de ces moments partagés que les artistes se nourrissaient pour enrichir les créations de ce laboratoire artistique. Car le Theodor Körner était bien un lieu d’expérimentation où une ambiance onirique venait nourrir les âmes créatrices. Musiques du monde avec l’Orchestre International qui, à chaque escale, proposait son concert, toujours plus étoffé dont les airs ont d’ailleurs envahi nos têtes jour et nuit pendant et après le voyage. Mais aussi, le marathon de la poésie où tout un chacun pouvait venir lire des textes de théâtre, des poèmes…Une rencontre quasi quotidienne qui va donner naissance d’ici quelques mois à une anthologie de la poésie. Ce laboratoire flottant a véritablement fait voguer les âmes et révéler les essences créatrices pour que la musique résonne jusqu’au bout de la nuit, lorsque les novices improvisent avec les musiciens confirmés pour créer et rêver toujours plus, sans limite…Le dramaturge Eugène Ionesco avait bien raison : « Les idéologies nous séparent, mais rêves et angoisses nous rapprochent »…

Fraternité n’est pas qu’un mot

La descente du drapeau dans la nuit du 14 au 15 septembre scelle la fin de l’aventure. Symboliquement l’Odyssée, notre Odyssée de l’humain s’achève ici, maintenant… En cette heure tardive sur ce pont que le vent de la nuit vient rafraîchir, le Theodor Körner songe déjà à son quai d’amarrage. L’émotion est grande, outrancière même et me pousse alors au retranchement. En cette dernière soirée, le Panoramic Bar, le salon de notre nouvelle demeure, nous accueille une dernière fois pour nous offrir un ultime moment de délicieuse fraternité. Nous sommes à Giurgiu en Roumanie, notre dernier port d’attache et nous rejoindrons demain Bucarest d’où nous nous envolerons pour rejoindre nos contrées respectives. Quinze jours se sont ainsi écoulés sur ce bateau devenu, le temps d’un doux rêve, notre maison. Quinze jours entre partout et nulle part. Dans un ailleurs qui n’existe qu’ici, entre ces deux rives du Danube, sur ces eaux magiques, à la fois calmes et tourmentées – généreuses et secrètes qui nous ont transporté aux confins d’un univers utopique, enchanteur et enchanté, qui a sans nul doute réveillé nos cœurs endormis par cet individualisme grandissant. L’Odyssée est un pays sans frontières où toutes les barrières sont levées. Main dans la main, bras-dessus bras-dessous, ceux qui ne se connaissent presque pas s’enlacent déjà dans un tourbillon d’amour fraternel, les yeux rêveurs et le sourire aux lèvres. L’Odyssée du Danube est un Odyssée du cœur, un univers mouvant et sans limite où se rejoignent en chœur tous les possibles ! Inopinément et de manière insoupçonnée, cet Odyssée a révélé une humanité méconnue et bouleversante. Fraternité, partage entre culture, joie de rencontrer cet autre finalement si semblable…j’y croyais comme on croit en un doux rêve…maintenant je le sais, l’Odyssée est un chamboulement qui change irrémédiablement le rapport à l’autre et le regard sur l’humain. Fraternité n’est pas qu’un mot, elle se ressent, se vit, se partage comme un nouveau souffle vers l’éventualité d’un avenir meilleur…

dimanche 2 septembre 2007

Première foulée pour le marathon de la poésie

La course est enfin lancée…Une première réunion s’est effectivement tenue, aujourd’hui, au centre culturel de Hainburg, à proximité de Vienne en Autriche. La « Fabrique à culture » (Cultural Fabrik) et Piero Bordin ont reçu l’ensemble des poètes, poétesses et comédiens embarqués à bord du Theodör avec tous les hommages et leur amitié. Dans ce nouveau lieu de la culture en Autriche, les premières pierres ont été posées et scellées dans un élan de fraternité.
Ce marathon, véritable chevauchée poétique, permettra à n’en pas douter aux saltimbanques de faire découvrir les textes de Méditerranée et d’Europe qu’ils portent haut et fort dans leur cœur. Avec partage, fraternité et sensibilité comme maître mot, l’échange poétique interculturel s’annonce artistiquement et humainement riche. Que les frontières politiques, institutionnelles et culturelles s’abattent sous les vers de nos artistes des mots. Que le pouvoir de la rime résonne dans les esprits et les cœurs jusqu’au bout du périple et après…pour la paix et l’amour entre les peuples.