vendredi 7 décembre 2007

Semaine Azerbaïdjan au Théâtre Toursky

Résolument ouvert sur le monde et le partage entre les cultures, le Théâtre Toursky a mis l’Azerbaïdjan à l’honneur durant la dernière semaine de novembre. Roustam Ibraguimbekov, célèbre scénariste, dramaturge et producteur Azerbaïdjanais était présent à Marseille pour la diffusion d’Adieu ville du sud, long métrage inspiré d’une de ses nouvelles - Bakou, fin des années 80 - et la représentation de Cherche partenaire pour rencontres épisodiques, par le Théâtre Ibrus. Voyage initiatique à la découverte d’un univers psychologique et singulier…

Ibraguimbekov : l’homme du Caucase

Roustam Ibraguimbekov - diplômé de l’Institut de Cinématographie de Moscou – est l’auteur de plus de quarante longs métrages et scénarios pour la télévision, de nombreuses pièces de théâtre et œuvres en prose. Internationalement reconnu pour ses créations, il demeure néanmoins méconnu en France, où la culture Azerbaïdjanaise n’est que peu évoquée. D’ailleurs combien savent exactement situer ce pays ou encore conter son histoire géopolitique? L’Azerbaïdjan est un territoire du Caucase, dont la capitale est Bakou. Frontalier avec la Géorgie, la Turquie, l’Arménie, l’Iran et la Russie ; il a longtemps oscillé entre indépendance et intégration forcée. Finalement devenu autonome depuis l’effondrement du bloc communiste le 30 août 1991, ses dirigeants ont choisi l’alliance politique avec les Etats-Unis. Premier pays démocratique de confession musulmane à accorder le droit de vote aux femmes, il connaît aujourd’hui une situation macro-économique satisfaisante mais doit encore relever le défi de la diversification des ressources et d’une répartition plus juste des richesses. Des conflits politiques intérieurs, religieux et territoriaux persistent actuellement dans le pays. Ce sont tous ces particularismes historiques qui ont forgé et forgent encore les œuvres d’Ibraguimbekov, comme une signature, une empreinte inaltérable. Né en 1939 à la capitale, il a connu les différents régimes de son pays et en témoigne dans de nombreux films - Soleil blanc dans le désert (1970), Interrogation (1979), Garde moi, mon talisman (1986), Urga (1991), Près de l’Eden (1991), Soleil trompeur (1994), Le barbier de Sibérie (1998) et Est/Ouest (1999) – primés pour la plupart. Chronique du Caucase, crime, drame psychologique et historique se conjuguent dans ses œuvres qui offrent une place dominante aux relations parfois difficiles entre pays, et aux liens entre les Êtres. Le psychisme des personnages, la conscience et la perception comme terrain d’exploration.

Sur les planches comme sur écran

Tel est l’épine dorsale de Cherche partenaire pour rencontres épisodiques présenté au Toursky vendredi 30 novembre. Cette pièce de théâtre jouée depuis plus de cinq ans dans les pays de l’est, dont plusieurs représentations à Moscou, dresse le portrait d’un couple ordinaire confronté à la dureté du temps qui passe et au vide du quotidien. Une création théâtrale à l’empreinte cinématographique forte où un ménage apparemment sans accrocs vit dans la rassurante mécanique du bonheur illusoire. De ceux qui vu par le miroir déformant de l’extériorité nous ferait dire : « Ah, que j’aimerais leur ressembler ». Mais la réalité est mensongère… Lui est scientifique, elle – rédactrice dans une maison d’édition. Deux postes à responsabilités pour un couple d’intellectuels modèles hors du besoin financier. Le déficit ici se compte plutôt en tendresse, partage et intercompréhension. Sous forme de huit-clos dans le salon familial, c’est un duel psychologique qui s’engage pour ces deux êtres si apparemment solides que profondément perdus, à cran. Car donner l’impression d’être en harmonie est pour eux la seule façon de vivre. « Il vaut mieux jouir de la vie que d’en parler » précise le texte. Assumer les erreurs du passé et accepter que le temps érode, parfois, les sentiments est bien plus ardu et insupportable que travestir la vie. Dans un jeu de psychés où les faux semblants dominent, tout est finement orchestré pour donner un sens à l’existence. Une orchestration basée sur la frontière invisible, terrible et insidieuse entre l’imaginaire de chacun et la réalité commune. Elle, rêve son mari en amant fougueux ; lui, songe à sa femme en plantureuse créature qu’elle n’est pas. Autant de rêveries chimériques personnifiées sur le plateau par deux autres personnages, si bien que deux couples distincts et idéals s’offrent finalement au public. Cette œuvre théâtrale aborde l’épineuse question du regard d’autrui. De la différence entre l’être, le paraître et le vouloir paraître et du difficile et rare équilibre qui permet de faire taire cette dissemblance. « Chaque couple établit ses règles », les dits, les non-dits…Ici, vivre en couple c’est lutter contre le silence des ressentiments – avec la jalousie et le mensonge comme anges gardiens – pour continuer à vivre, à feindre le bonheur pour usurper le réel. S’affronter pour mieux se réconcilier, contrefaire pour demeurer heureux avant tout ; telle est la règle pour ces êtres qui se déchirent autant qu’ils s’aiment. Une référence non fortuite donc au célèbre Cadavre vivant de Léon Tolstoï où le bonheur est au-dessus de tout, de la vie même pour le héros Fédia qui se suicide pour que son épouse Lisa soit enfin heureuse. Cherche partenaire pour rencontres épisodiques est une pièce psychologique, désarmante, lancinante même où le jeu renvoie le spectateur au réalisme angoissant de cette situation. Cette universalité humaine de condition selon laquelle l’Homme a besoin d’être apaisé jusqu’au risque de se tromper lui-même…

lundi 26 novembre 2007

« Exilio, ou garder en soi ce que l’on nous a retiré »

Le Théâtre Gyptis accueillait mercredi 21 novembre la deuxième représentation d’Exilio, écrit et mis en scène par Sara Sonthonnax de la Compagnie Théâtre et Mémoires. Exilio, c’est une création inspirée des lettres trouvées par l’historien Jean-Jacques Jordi aux Archives départementales. Des courriers adressés en 1939 par ces républicains réfugiés dans les bateaux hôpitaux marseillais après avoir fui Franco. Des écrits qui n’ont jamais trouvé voix. Sara a souhaité leur rendre…

Sur les routes de l’exil

Miguel et Pablo ne se connaissent pas mais fuient tout deux le régime dictatorial franquiste. Les routes de l’exil les feront se rencontrer et partager leurs peines, leur désarroi et leurs doutes. Comme un échange de pensées, un partage de destinées en face à face ou séparés par des destins épars, Exilio procède à un devoir de mémoire tout en soulevant de véritables questions ontologiques. « Fuir l’Espagne, n’est-ce pas la perdre ? » ; « Quelque chose vaut-il plus que la vie ? ». Mais la liberté est aussi la vie…La perdre ne revient-il pas à renoncer d’être vivant ? Autant de questions auxquelles la réalité de la guerre civile n’offre pas de réponse. Seules les déchirures sont là, omniprésentes. Déchirure d’une fuite forcée, déchirure des familles qui se scindent pour parfois ne jamais se retrouver, déchirure de ces deux êtres que la route séparera. L’un, Miguel, choisit de rejoindre le Mexique; l’autre, Pablo, s’engage dans la résistance française contre l’occupant nazi. Malgré la distance, les deux hommes s’expriment d’une seule et même voix. Celle de la souffrance, de l’abandon et de l’injustice. Dans leur périple, ils évoquent les mots et les maux d’un peuple, de tous ceux qui sont déchirés entre l’envie de vivre et la volonté de ne pas partir, de ne pas abandonner pour ne pas se laisser vaincre. Ces deux êtres en perdition témoignent de cette déchirure intérieure, la plus insupportable, certainement. Leurs sentiments et ressentiments sont rejoints par le chant d’Emilie Lesbros dont la voix et l’ombre déambulent par intermittence sur scène. Telle une apparition fantomatique, son chant improvisé est doux, profond, fragile et douloureux - à propos, quoi qu’il en soit. Comme un chant de l’exil qui vient rythmer l’échange discursif, il stigmatise les souffrances comme l’image redondante du train de la mort dans Amen, le célèbre drame historique de Costa Gavras. Pour autant, le pathos ne prend jamais le pas sur le témoignage…

Un texte sensible et pudique

La mise en scène est sobre et le plateau dénudé. Les deux acteurs évoluent de déambulations avant en mouvements arrière selon que les chemins les unissent ou les divisent. La lumière, elle, suit les codes conventionnels : rouge pour le sang, bleue pour la mer. Une mise en scène quelque peu limitée, simpliste pourrait-on dire…Mais comment faire autrement ? Sara Sonthonnax affronte ici un exercice difficile. Celui de mettre en scène un sujet ardu, douloureux, qui rouvre pour certains d’anciennes douleurs. Mais aussi, celui de porter aux vues l’adaptation théâtrale d’écrits initiaux, leur rendre voix sans dénaturer la réalité - sans l’occulter ni la farder. Une mise en espace plus construite, plus concrètement élaborée n’aurait-elle pas été risible ? Plongeon dans l’emphase et la grandiloquence, ou bien altération du message ; elle serait certainement venue gâcher le texte. Nous saluerons l’audace de la metteuse en scène et la beauté de son texte ; limpide, sensible, pudique et juste – à la lisière de la poésie parfois. Un de ces textes qui font entrevoir des images, celle des barbelés des camps d’Argelès dans les Pyrénées-Orientales ou celle de la tramontane, ce coriace vent catalan venant fouetter les visages des malheureux – « même le vent est fasciste ! » disaient ironiquement certains -. Car s’il ne se joue pas de faux-semblant, Exilio ne manque pas d’humour. « Si seulement la pluie pouvait pleurer à chaudes larmes », « Au moins le menuisier a du travail »…Autant de marques d’esprit qui brisent dans l’instant toute immersion dans le pathos. Quant au jeu, Alfonso Rodriguez Gelos et Vincent Saint-Loubert Bié, offrent une interprétation délicate, soutenue et musicale, à l’orée d’un parlé slamé pour le second. Un spectacle qui vaut amplement le fait d’être vu pour sa justesse, sa pertinence et son témoignage d’une époque trop méconnue. Une revanche judicieuse et touchante pour Sara dont la famille avait plutôt versé du côté des assaillants. « On ne choisit pas d’où l’on vient, mais on choisit où l’on veut aller… » dit-elle, et on ne saura que l’en féliciter !

dimanche 25 novembre 2007

Enchanter la danse pour qu’exulte la liberté

Dans la soirée du 23 novembre, Merlin Nyakam – créateur de la compagnie La Calebasse et célèbre danseur et chorégraphe africain - est venu présenter sa dernière création sur les planches marseillaises du Théâtre Toursky. Cette même scène où il a débuté sa carrière en France il y a maintenant plus de dix ans. Ce dernier opus, intitulé Liberté d’expression, nous ramène par les impulsions du corps et les rythmes afros au souffle de vie originel qui court en nous. Un spectacle aux antipodes des extravagances et des perditions d’une société bien trop axée sur l’image et l’apparence…

Merlin, l’enchanteur des corps

Tout commence au son des battements du cœur d’un fœtus projeté sur le blanc immaculé de la robe portée par un danseur. Le rythme du cœur pour celui de la vie…Endiablé et festif selon Merlin. Les percussions africaines s’animent, les corps des huit danseurs s’agitent dans une intrépide chorégraphie colorée ; et c’est la vie qui envahit l’espace scénique…Farandole de couleurs éclatantes, tourbillon de danseurs aux corps sculpturaux ; et la chair se mue en un contour unique pour ne former qu’un : l’humain. Accompagné de sa baguette magique, Merlin Nyakam ne pouvait rêver prénom plus justement destiné. Merlin - cet enchanteur des corps, ce chorégraphe magicien – exalte par la danse la diversité de l’être en le rassemblant autour de son unicité, de son intrinsèque similitude. Avec lui, la danse devient art total pour une pleine liberté d’expression. Elle extirpe au théâtre ses modes d’expression, au chant et à la musique leur valeur émotionnelle et aux arts plastiques leur profondeur sensorielle. Liberté d’expression joue sur tous les canaux et devient une mosaïque de sens, de couleurs, de formes mouvantes où le rideau de fond de scène se plait à décupler ces corps devenus ombres chinoises. La valeur esthétique de l’ensemble est fondamentale et vient se mêler au talent incontestable des danseurs de la troupe. Merlin Nyakam dirige ses artistes d’une main de maître, avec une poigne, un charisme qui semble joint à un gant de velours. Le sourire toujours franc et le rapport au public aisé, il charme et attendrit. Avec tout son talent, la danse donne à réfléchir sans céder du déjà pensé, en toute subtilité.

Quand la danse exalte la liberté

Avec Merlin Nyakam, elle devient aussi l’emblème de l’expression enfin libérée. Sous un trait de légèreté, les thèmes sont essentiels : la religion, l’image de soi, le rapport à cet autre – si différent mais si semblable – et l’amour. L’amour qui réunit finalement ces cinq personnages qui se déchiraient jusqu’alors – un lama tibétain, une religieuse, un homme de la rue au look de rappeur, un homme en costume et borsalino, et un autre en toge noire. Liberté d’expression est une piqure de rappel pour témoigner des barrières formées par les divergences religieuses. Le reflet de soi, le lien social, l’égocentrisme sont symbolisés, eux, par les danseurs valsant devant leur miroir, pour se rejoindre finalement. « Vous vous croyez seul ? Vous ne l’êtes pas. Vous n’êtes jamais seul » entend-t-on en voix off. La danse réunit ici les corps, les âmes pour partager et unir dans la joie. Pas de pathos, pas d’emphase, seulement un message en guise d’avertissement, un appel où l’humour n’est d’ailleurs pas de reste…Liberté d’expression offre tantôt de franches rigolades et se conjugue, parfois, à l’ironie pour décrier la distension des liens par nos modes modernes de communication – raillant d’ailleurs autour de l’objet « téléphone portable » -. Il accuse notre société d’accroître l’individualisme et de cultiver la différence sans pour autant l’accepter. Le spectacle, lui, l’exalte en l’admettant ; offrant une place primale à la liberté. Liberté d’expression fait valser les préconçus et porte un regard critique, en tendresse et en espoir, sur le monde. Les artistes s’amusent visiblement sur scène, et nous aussi ! Emportés par le flot des messages et de la danse, l’heure de spectacle s’achève bien rapidement ; et le public en redemande, encore... Que le temps se contracte lorsque les instants sont si justifiés, subtils et délicieux!

(crédit photo : Sylvie Martin)

vendredi 9 novembre 2007

Exilio au Théâtre Gyptis

Pour ceux qui ne le savent pas encore, le théâtre Gyptis fête cette année ses 20 ans d’existence aux mains de Françoise Chatôt et Andonis Vouyoucas. Vingt ans de vie dans un quartier de Marseille pourtant difficile, vingt ans durant lesquels le théâtre a su conquérir son public, toujours plus nombreux à venir plébisciter la diversité des spectacles proposés. Et cette saison 2007/2008 porte haut et fort les couleurs de la pluridisciplinarité : théâtre bien évidemment, mais aussi musique et danse viennent enrichir ce florilège artistique. Après avoir ouvert la saison avec L’école des femmes - mis en scène par Jean-Claude Nieto - et reçu une première approbation du public, cette nouvelle année théâtrale continue au Gyptis avec Exilio, écrit et mis en scène par Sara Sonthonnax.

Exilio, c’est un plongeon dans le chaos et la déchirure de la guerre d’Espagne et dans les exils forcés des républicains sous le régime de Franco au travers des lettres adressés par ces réfugiés depuis les bateaux hôpitaux Marseillais. « Ce n’est ni une fresque historique, ni un documentaire » explique Sara Sonthonnax, mais plutôt une pièce où l’évocation domine. Un spectacle à mi-chemin entre la lecture théâtrale et la pièce de théâtre où l’humour et l’émotion contenus dans les mots sont rejoint par une interprétation très musicale du texte. Une œuvre qui veut faire réagir sans donner du déjà pensé, sans tomber dans l’illustration ou le psychologique et sans emphase. Pour la metteur en scène, « le respect des écrits est essentiel et la distance et la pudeur sont indispensables ».
Mais Exilio, c’est avant tout un coup de cœur inopiné pour des lettres entendues par Sara en 2004 lors d’une lecture publique au Cercle des catalans à Marseille. Des lettres plus communes que lyriques, des écrits qui, par leur apparente banalité, témoignent plus justement de ce qu’était le quotidien. C’est un coup de foudre mais aussi une irrépressible envie de témoigner de cette guerre trop rarement évoquée dans le théâtre – une guerre dans laquelle la France n’a pas toujours joué un glorieux rôle. « Donner de la voix par l’acte théâtral » précise si justement l’auteure. Redonner vie à ces voix disparues, faire entendre ce qui est resté enterré dans les entrailles des Archives Départementales jusqu’à ce que l’historien Jean-Jacques Jordi les retrouve en 2000.
A Marseille, où la population catalane et espagnole est importante, ce spectacle sera pour les plus jeunes une découverte et pour les autres une immersion passéiste vers un pan méconnu de l’histoire espagnole et française. Quel que soit l’âge, il sera riche d’enseignement et trouve par le hasard de l’actualité une justification toute méritée - le parlement espagnol venant enfin d’accorder la réhabilitation des tombes des républicains.

Ecrit et mis en scène par Sara Sonthonnax de la Compagnie Théâtre et Mémoires, interprété par Alfonso Rodriguez Gelos et Vincent Saint-Loubert Bié, ce spectacle aura lieu du 20 au 24 novembre 2007 à 20h30 le mardi, vendredi et samedi ; et 19h15 le mercredi et jeudi. Réservation au 04 91 11 00 91. A noter : La représentation du 21 sera suivie d’un débat en compagnie de l’équipe de création et de Benito Pelegrin – Professeur émérite des Universités, écrivain, dramaturge, traducteur et chroniqueur -qui témoignera de cet exil forcé qu’il a vécu enfant.

jeudi 8 novembre 2007

Focus sur la recherche immunologique à Marseille

Eradiquer le paludisme placentaire
Face à la recrudescence actuelle des cas de paludisme, les recherches s’intensifient afin de développer de nouvelles molécules susceptibles de devenir des vaccins. L’accent est mis sur la prévention des formes les plus graves de la maladie. C’est ce dernier point qu’étudie Jürg Gysin, directeur de l’Unité de Recherche Associée (URA) mixte Institut Pasteur / Université de la Méditerranée Aix-Marseille II, et ses collaborateurs depuis 1996.

Une thématique de santé prioritaire

Le paludisme, maladie déjà connue au milieu du siècle dernier, est toujours aussi présent aujourd’hui. « Les mouvements de populations, le manque de moyens, la résistance du vecteur aux insecticides utilisés et les échecs de la lutte anti-vecteur alternative expliquent en partie cette constante » commente Jürg Gysin. En effet, on observe depuis quelques années l'apparition d'une résistance aux insecticides chez les moustiques et une chimio résistance chez le parasite, et la recherche n'a pour l'instant pas su apporter de solutions complètes. En cause ? Un développement coûteux des médicaments pour les laboratoires pharmaceutiques et des populations concernées majoritairement pauvres.
La situation d’endémie s’explique aussi en partie par une trop forte croyance en l’efficacité d’un hypothétique vaccin salvateur mais « un ralentissement voire un arrêt de la recherche pour le développement de nouveaux composants antipaludiques, en considérant que le vaccin allait apporter la solution a contribué à la persistance du parasite, car finalement la solution est plus compliquée que prévue» concède le scientifique. Le paludisme est ainsi devenu une des priorités de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Suivant ses recommandations, l’Institut Pasteur et d’autres laboratoires déploient dans plusieurs pays de nombreuses équipes de scientifiques se consacrant aux différents axes de recherche.

Le paludisme de la femme enceinte

Jürg Gysin est l’un d’entre eux. Avec son équipe, il focalise ses études sur le paludisme placentaire. Mais qu’est-ce que le paludisme ? Maladie infectieuse provoquée par un parasite – le Plasmodium – il est transmis par la piqûre d’un moustique femelle. Il y a quatre espèces dont le Plasmodium falciparum est le plus pathogène. A l’origine d’une véritable épizootie dans les zones tropicales, le laboratoire Marseillais concentre ses recherches sur cette dernière espèce.
La femme enceinte et son fœtus y sont particulièrement vulnérables. En cas d’infection, elle développe une forte anémie et une faiblesse généralisée qui entraînent un retard de croissance du fœtus qui peut compromettre à terme sa survie et celle de sa mère. Tous les efforts de l’équipe, associée à d’autres dans le monde, se focalisent sur l’élaboration d’un vaccin qui protégerait la femme enceinte et le fœtus d’une contamination. Les recherches ont pour l’instant abouti à l’identification des protéines qui permettent au parasite de s’installer dans le placenta et l’on sait que le développement d’anticorps contre cette protéine empêcherait cette installation. Une récente étude porte également sur un antigène parasitaire, le RSP2, impliqué dans le développement de l’anémie chez tout individu impaludé. Un espoir d’enrayer la pandémie se joue à Marseille où les derniers résultats de cet antigène permettent d’envisager des solutions thérapeutiques possibles.

Des candidats vaccins testés sur un primate

« Nous étions le seul groupe avec le CDC aux Etats-Unis à pratiquer cette approche à grande échelle et ce modèle a été utile à bien des égards pour l’étude de la fonctionnalité protectrice d’anticorps » précise l’expert à propos du singe Saimiri ayant servi aux tests. Mais malgré cette voie de recherche innovante « l’éradication du paludisme n’est pas aisé avec les problèmes de la chimiorésistance, l’appauvrissement des populations exposées, les déplacements massifs de population et la malnutrition» ajoute Mr. Gysin. De plus, le parasite mute et les réponses immunitaires protectrices doivent constamment se réadapter, mais Jürg Gysin envisage actuellement une solution possible. Pour autant, mettre au point un vaccin stable à un coût raisonnable n’est pas chose facile et « si on arrivait demain à produire un vaccin ou une immunothérapie, il faudrait sans doute encore du temps avant que cela ne devienne profitable à tous ceux qui en ont besoin ». Les recherches continuent pour enrayer les méfaits du paludisme à Plasmodium falciparum
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Jürg Gysin : directeur de l’unité de parasitologie expérimentale marseillaise

Après avoir exercé au sein de divers laboratoires d’immunologie parasitaire, en Guadeloupe, à Cayenne, New York et Lyon, Jürg Gysin - arrivé à Marseille sous l’impulsion de la Mission de la Recherche et de la Technologie (MRT) – poursuit ses recherches sur le paludisme. Accueillant des post doctorants, étudiants en DEA, Master ou thèse ; il a pu créer quelques contrats à durée déterminée. Egalement soutenue par la communauté Européenne, l’European Malaria Vaccine Initiative (EMVI), l’Agence Nationale de la recherche (ANR) et quelques groupes américains, l’unité de parasitologie expérimentale marseillaise se révèle être un des acteurs majeurs de la recherche antipaludique dans le monde.


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Le paludisme tue davantage que le sida

Chaque année, deux milliards d'individus sont exposés au paludisme qui provoque 200 à 500 millions de cas cliniques. Selon les estimations de l’OMS, cet agent pathogène entraîne la mort de 1 à 3 millions de personnes par an, soit un enfant toutes les trente secondes en Afrique. La situation semble plus grave encore qu’il y a cinquante ans, lorsque l’OMS pensait éradiquer ce fléau. Les différents laboratoires de recherche continuent leurs investigations sans pouvoir assurer, pour le moment, la naissance prochaine d’un vaccin. A l’heure actuelle, le paludisme cause davantage de décès que le sida.




dimanche 4 novembre 2007

Le Mexique a fêté les morts à Marseille

Du 1er au 8 novembre et pour la troisième année consécutive, Marseille a mis le Mexique à l'honneur à l'occasion de la fête des morts. Car à la différence de la France, la période de Toussaint est une joyeuse fête au Mexique. Ce festival, initié par l'acfm (association des cultures Franco-Mexicaines); parrainé par M. Andrès Henestrosa -grand écrivain mexicain âgé de presque 101 ans - soutenu par M. Carlos De Icaza et représenté par Yvan Romero - consul honoraire du Mexique à Marseille - s'annonce être une manifestation riche en partage et création où un point d'honneur est donné à l'interactivité. Invitation directe au voyage pour un véritable plongeon dans les traditions séculaires de la culture mexicaine...

La Toussaint Mexicaine ou comment fêter la mort

"La mort n'est pas triste chez nous" précise Ramon Solano, irrésistible mime mexicain. Le ton est donné...Cette période du début d'automne qui, chez nous en France, respire la tristesse et où le poids de la tradition nous pousse -nous impose presque - à revenir fleurir les tombes et à pleurer à nouveau nos défunts, est une fête au Mexique. Cette fête des morts puise son essence au coeur de la légende de l'humanité. Cette légende qui serait née des ossements des ancêtres mexicains mêlés au sang de Quetzalcoatl - la plus haute divinité aztèque - renfermerait les clefs de la philosophie mexicaine précolombienne qui ne dissocie pas la vie de la mort. La mort est une continuité logique, une sorte de seconde phase de vie qu'il ne faut donc pas pleurer. Depuis ce temps, lorsque l'heure de la Toussaint retentit, on vient faire des offrandes et chanter près des tombes pour fêter les morts. Cette cérémonie s'étendait naguère sur presque un mois offrant d'abord une fête aux enfants disparus - c'est le Miccaihuitontli - les adultes défunts, eux, étaient fêtés quelques vingt jours plus tard - lors du Hueymiccalhuitl. Avec les siècles et les successives conquêtes, ce mythe a évolué pour se nourrir des traditions indiennes et espagnoles qui ont fait fusionner ces deux fêtes en une unique, la Toussaint.

D'étranges créatures animaient le vieux port

Le parvis de l'hôtel de ville et le quai le jouxtant étaient noirs de monde jeudi et vendredi dernier. Il faut dire qu'il y avait de quoi...De nombreux artistes mexicains s'étaient donné rendez-vous pour l'occasion afin de faire le spectacle. Cirque, danse, théâtre, arts de la rue et musique ont fait la fête aux morts devant un public marseillais comblé. Ramon Solano, l'attendrissant mime mexicain, a rendu l'assemblée hilare en mimant tour à tour les attitudes féminines et masculines, en invitant deux spectateurs à monter sur une moto invisible ou encore en imitant tout simplement les passants. Montserrat Diaz, la statue vivante, véritable oeuvre d'art aussi figée que réelle a quant à elle rendu perplexe les plus jeunes : "Et maman, elle est vivante la statue??" entendait-on dire sur un ton naïf et étonné. Les ateliers de création d'objets typiques mexicains, les différents stands et les projections de films sur un rideau d'eau ont rassemblé tout autant de monde, visiblement satisfaits de célébrer la Toussaint autrement. Après une première phase aussi réussie, la Toussaint mexicaine a clôturé avec entrain ses festivités Marseillaises au Théâtre Toursky le dimanche 4 novembre pour continuer du 6 au 7 à Lyon et le 8 novembre à Carnoux en Provence.














Le Toursky à l’heure Mexicaine

Quinze heures sonnaient et le hall d’entrée du Théâtre Toursky s’ornait de toute la gaieté des décors de la Toussaint mexicaine et de toute une ribambelle de personnes venues découvrir cette autre fête des morts. Autel aux couleurs criardes, Montserrat en statue fantomatique et Ramon déambulant avec son chien en peluche, le Mexique avait envahi l’antre du théâtre par son âme bariolée et sa chaleur humaine. Côté cour et côté jardin, au balcon ou à l’orchestre, la salle de spectacle était généreusement remplie. Le spectacle, composé par les quelques trente artistes mexicains présents, pouvait commencer…C’est le groupe Tribu qui inaugura les réjouissances avec leurs musiques et leurs sons oniriques qui ont entrainé le spectateur vers des sphères éthérées, mystérieuses et envoûtantes. Le texte et le théâtre s’invitait aussi à la fête par une lecture théâtrale et dansante de la légende du Quetzalcoatl sur les sons de Tribu. Après cette première création qui a amplement conquis le public, Ramon fit son entrée sur scène et il ne lui fallu pas plus d’une minute pour rendre l’ensemble de l’auditoire rieur et enchanté. Jouant ses grands classiques et improvisant au gré des opportunités, son intermède humoristique satisfit le plus grand nombre. Les festivités allaient se clore par les pérégrinations extravagantes de la troupe Mascaras entre sombras, qui nous présentait un spectacle inspiré des traditions de la Toussaint mexicaine où les géants – protagonistes de l’histoire - mêlaient coutumes mexicaines et humour désopilant, voire grotesque.
Après plus de deux heures de spectacle, les animations ont continué sur la terrasse du théâtre dans une ambiance carnavalesque et typiquement mexicaine – tacos, tortillas et bière « Corona » garantis – pour le plus grand bonheur des petits et des grands ! Non décidemment, fêter Toussaint au Mexique ne manque pas de piquant !!!


mercredi 17 octobre 2007

Pierrot l'éternel gamin

Le 16 octobre dernier, le Théâtre Toursky accueillait celui qui réunit les générations autour de chansons douces, pétillantes, malicieuses et dénonciatrices. Pierret Perret – cet ami de Brassens - qui fête cette année ses 50 ans de carrière a littéralement épris les spectateurs de 7 à 77 ans…

Quand le théâtre devient chorale

Du haut de ses 73 ans qu’il porte à ravir, Pierre Perret – Pierrot dans le cœur de ses acolytes - a la bouille tendre et émerveillé d’un gamin espiègle. Débutant son tour de chant par la plus célèbre des cages, celle aux oiseaux, il a d’emblée donné le ton. Enfantin, coquin, mais aussi accusateur, tel serait le penchant de ce concert. De chansons métaphoriques à d’autres revendicatrices, cet être humble et humain a chanté l’amour et l’humour en poésie dans un spectacle résolument interactif. Car Pierret Perret c’est aussi l’échange et la proximité avec son public. Malgré une voix fragilisée par un rhume, il a chanté tant qu’il a pu devant un public marseillais qui l’a ovationné. Répondant aux assauts malins et à l’énergie de l’artiste, le public – enfin sorti de sa timidité - s’est mis à chanter et le théâtre est devenu chorale. Des enfants aux ainés, tout le monde a entonné ses refrains connus que sont Le zizi, Les colonies de vacances, Lily, Mon petit Lou ; mais aussi des chansons récentes dont Liberté Zéro où l’ami Pierre chante les injustices qu’il combat…

« Elle croyait qu’on était égaux Lily, Au pays de Voltaire et d’Hugo Lily »

Mais Lily avait tort et Pierrot le sait bien. Car l’artiste, en poète éclairé, est avant tout près de l’humain et de ses souffrances. Un des rares avec qui la vulgarité et la sexualité deviennent lyrisme, un de ceux qui chantent en clamant les injustices de ce monde, usant de l’humour quand le sujet est grave. Parler de tout en chanson, en tendresse et avec ironie pour « être attentif à la misère des autres et la ressentir avec son cœur et ses tripes ». Pierrot est généreux, sincère, sensible et son public sait le lire dans son regard – reflet de l’âme dit on – à la fois bienveillant, rêveur, réaliste et triste aussi. Il chante l’immigration, la misère, la violence et le racisme avec le chagrin dans la voix mais l’espoir dans le mot, le regard toujours droit devant pour avancer et combattre. Combattre les décadences et les errances d’un XXIème siècle naissant avec la douceur, la délicatesse et l’amour comme fer de lance. Un seul mot : Merci Pierrot!!!

lundi 15 octobre 2007

Circo Paradisio

Circo Paradisio, c’est une troupe de neuf artistes, un ensemble loufoque – quasi psychédélique – qui nous entraîne dans l’Histoire du cirque. Mais l’Histoire du cirque revisitée par Circo Paradisio, ça n’est pas un récit chronologique mais plutôt une fresque désopilante de laquelle on retient que le cirque « ça se transmet de génération en génération ».
Tout commence en 1664 – date bien connu des messieurs selon l’Auguste, animateur pour l’occasion – avec la famille Desjardins. Le premier de la famille entame son tour de piste et ses pseudos descendants feront de même tout au long des 2 heures de spectacle. Funambules volants, trapézistes, jongleurs, chanteurs, danseurs et même une femme sirène composeront peu à peu cette photo de famille des plus étranges. Le ton est plaisantin, très – trop ? – léger, bohème. On s’y moque de la religion – « Et si jamais Dieu existait, il faudrait s’en débarrasser » s’écrie l’Auguste -, on compare les humains aux poules – qui envahissent d’ailleurs le plateau – et les protagonistes parviennent même à rire de leurs propres blagues. C’est un cirque en folie qui a envahi le Toursky en cette soirée d’automne. Une folie qui atteindra son apogée avec le tableau final, digne des dernières minutes du film « The full monty ». Les costumes sont magnifiques, les arrangements musicaux originaux et adéquats, les artistes au sommet de leur art mais l’ensemble pêche par manque de cohérence, de structure. On retiendra néanmoins l’effort esthétique de l’ensemble, le talent des interprètes et le déroutant moment où l’Auguste, hypnotiseur à ses heures perdues, endormira une poule devant des yeux ébahis. On regrettera par contre un humour un peu flasque, parfois trop grotesque, qui laissera perplexe les adorateurs de la subtilité, de la finesse dans le rire.
Circo Paradisio, un spectacle qui, quelques arrangements effectués, pourrait évoluer en paradis du cirque…

samedi 13 octobre 2007

La cruche cassée

Texte d’Heinrich von Kleist, mis en scène par Frédéric Bélier-Garcia et adapté par Arthur Adamov. Théâtre national de Marseille La Criée du 10 au 13 octobre 2007. Durée du spectacle : 1h50.

« C’est qui qui, qui a cassé la cruche ? » s’exclame sur un ton plaisantin le greffier. Telle est la question, véritable épine dorsale de cette farce à la fois rocailleuse, grotesque et subtile. Cette farce qui prend sa source dans une estampe de Debucourt vue par l’auteur lors d’une visite en Suisse. Une œuvre représentant une scène anodine de justice villageoise.
Adam, juge désinvolte et enfantin de la province d’Utrecht, au fort penchant pour le vin et la bonne bouffe, se retrouve en train d’instruire son propre procès. Celui-ci a malencontreusement cassé une cruche alors qu’il s’enfuyait de la chambre de la jeune Eve – fille de la douce folle Dame Marthe - après avoir tenté de la corrompre lors d’une visite nocturne. Mais c’est que cette cruche n’est pas n’importe quelle cruche aux yeux de Dame Marthe. Elle a traversé les époques, les coups du sort sans que rien ne lui arrive…jamais. Il faut punir l’auteur de ce crime. Car à ses yeux, s’en est un ! La venue du conseiller de justice Walter, en tournée d’inspection dans les tribunaux de la région, va rendre périlleuse la situation de ce juge-jugé. Une maudite arrivée pour Adam, coupable de péché mortel, au-dessus de la tête duquel semble flotter une épée de Damoclès. Epée d’ailleurs symbolisé par trois poutres de tailles différentes qui ondoient sans cesse au-dessus du plateau, comme une sentence prête à tomber. La cour se transforme lentement en véritable cirque où le juge épuisera tous les subterfuges possibles pour s’innocenter. Le jeune paysan Ruprecht, vulgaire mais amoureux de la fragile Eve, fera les frais des efforts démoniaques mis en place par celui-ci pour se disculper. Des arguments cocasses, loufoques, souvent sans queue ni tête, qui entraînent indéniablement le spectateur dans une jouissive jubilation. A cour d’inspiration dans son plaidoyer, Adam sera peu à peu découvert, ne pouvant cacher ses blessures et son pied-bot, preuves de sa culpabilité. Cette farce folle aux personnages bien définis et affirmés, s’achève sur un plateau devenu pénombre où Dame Marthe reste là, statique et larmoyante en s’écriant « Ne faut-il pas que justice soit rendue à ma cruche ?! »…Celle-là même qui n’a rien compris au drame qui s’est joué, offre avec un irrésistible humour toute sa place au double sens attribué au mot « cruche » !
Derrière une bouffonnerie de bon aloi, se cache un tête à tête vétilleux et impertinent entre les deux justices – celle de dieu et celle des hommes - et l’auteur du péché. Un procès où Adam et Eve, personnages centraux, procèdent à un véritable jugement de l’humanité. L’homme y est présenté comme sinueux et immoral, la femme comme une victime des travers de celui-ci. Une farce où finalement, Adam et Eve, les deux croqueurs de pomme se retrouvent face aux mêmes contradictions. Celle des bonnes mœurs de l’époque et celle des désirs personnels. Un thème qui prête encore à méditation aujourd’hui…
Sans surprise, cette pièce du dramaturge Allemand Heinrich von Kleist a outré l’opinion lors de sa parution en 1805. Elle est la première pièce de son Œuvre. Un ouvrage inachevé par un décès prématuré – il s’est suicidé avec sa femme à l’âge de 34 ans – où il laisse néanmoins à la postérité huit pièces dont une inachevée. Des œuvres paradoxales, ambigües et bien souvent provocatrices pour un auteur en quête d’absolu. Un absolu qui le conduira à accompagner sa femme dans la mort et choisir en guise d’épitaphe « Maintenant, ô immortalité, tu es toute à moi ! » - vers tiré de sa dernière pièce Le Prince de Hombourg. Sa constante tentative du dépassement et son éternelle dualité entre subjectivité et réel installeront ce maître de l’entrelacement entre l’infini et la barbarie comme un auteur dans la droite lignée de Shakespeare. A raison certainement…

dimanche 7 octobre 2007

Face de cuillère

De Lee Hall, texte français de Fabrice Melquiot, mise en scène de Michel Didym. Avec Romane Bohringer.

Samedi dernier, dans la soirée du 06 octobre, c’est une étonnante petite fille qui occupait les planches du Théâtre du Jeu de Paume, à Aix-en-Provence. Cette singulière gamine, c’est Face de Cuillère ou Steinberg de son vrai nom, mais personne ne l’appelle plus comme ça. Au périlleux exercice que celui de jouer une enfant malade, c’est Romane Bohringer qui s’y est attelé, avec audace, générosité et sensibilité sans jamais tomber dans le pathos ou le larmoyant dans cette histoire pourtant tragique.

Un Etre hors du temps

Face de Cuillère, c’est une petite fille sans âge chez qui tout va de travers. Une enfant condamnée dès sa naissance à porter ce drôle de nom en raison de son étrange frimousse ronde. Toujours ailleurs et disposant de facultés « géniales », elle est une sorte de mystère sans réponse que les docteurs qualifient d’autiste. Elle qui pourtant a tant de choses à nous dire, à nous apprendre. Imitant tour à tour sa mère, vouant un culte à la vodka et son père qui se saoule, lui, des effluves du corps d’une étudiante - elle se moque de ce monde d’adulte. Elle qui est à la fois, une gosse, une ado et une femme. Une gosse qui émeut par son langage enfantin, familier, brut et qui nous sert des évidences avec la joie d’ingénieuses découvertes. Le temps ne semble pas effleurer celle que le cancer condamne pourtant à une courte vie. Face de Cuillère n’évoque les faits que dans l’approximation : « Il y a un bail »…comme si le temps devait être oublier. Elle est une incroyable leçon de philosophie. Elle, qui traite du beau, de la religion, de la maladie, de la mort avec ces tics langagiers typiques des adolescents : « Et tout ça », « Tu vois le truc ? ». Face de Cuillère c’est une sacrée môme que la vie n’épargne pas mais qui affronte son destin avec une maturité démente. Une sorte d’Antigone des temps modernes convaincue que « Les choses les plus tristes ça te remplit à fond ». Une adoratrice de La Callas et des chanteuses d’opéra qui finalement s’éteindra en musique, comme elles, ces grandes dames aux bustes prégnants...

Une formidable leçon de vie

Le spectacle s’étire sur plus d’une heure et Face de Cuillère nous prend comme confident, à moins qu’elle ne s’adresse à un ami imaginaire. Quand bien même, elle nous tutoie... Elle est proche et lointaine dans ce décor intimiste et minimaliste. Un décor ou la froideur des couloirs d’hôpitaux se mêle à l’intimité de ce monde intérieur symbolisé par un fond de scène parsemé de nuages. Un univers de « grand » où celui de l’école est tout juste matérialisé par un bureau qui tourne le dos au public, comme si l’école était déjà si loin pour elle. Car nous avons beaucoup à apprendre de cette gosse. Elle qui a compris « qu’il n’y a qu’une chose absolument sûre c’est que l’on est sûr de rien » et « qu’être différent c’est être soi ». C’est une môme avec des questionnements d’adultes qui, dans son malheur, reste convaincu de la beauté de la vie. Parce-que « peu importe comme on meurt, c’est quand même magnifique d’être vivant », tu vois le truc ? Elle a compris que le plus important est de trouver l’étincelle qui donne du sens à tout ça, à ce que l’on nomme la vie. Cette étincelle que même la mort ne peut enlever…notre monde intérieur, notre imagination. Ce « papillon » comme l’appelle si justement Jean-Dominique Bauby dans son livre « Le Scaphandre et le Papillon ». Elle nous prouve que les petits enfants sont bien plus courageux que les grands. Car pourquoi avoir peur de partir alors que l’on n’a pas eu peur de venir ? « Dans la mort, plus rien n’est séparé. On est tout, et c’est rien ! »

Une Romane Bohringer pudique et juste

Dans ce rôle difficile d’enfant malade, où elle se lançait pour la première fois dans l’expérience du monologue, Romane Bohringer est magnifique. Dans son jogging rouge, son bonnet enfoncé jusqu’au bas des oreilles, elle est expressive, fragile, réservée et infiniment juste. L’émotion toujours au bord des yeux, elle avance sereine jonglant habilement avec mélodramatique et humour. Une prouesse de comédien qui vient enjoliver le texte déjà saisissant de l’auteur anglais Lee Hall, traduit ici par Fabrice Melquiot. Dans cette mise en scène dynamique où l’heure passe comme sa moitié, le spectateur est ému par cette force de la nature qu’est Face de Cuillère. On y apprend à parler de la maladie et de la mort avec beaucoup d’ironie et à voir la vie pour ce qu’elle a de meilleur à offrir. « Dans le ménage, je laisserai tomber les étagères où l’on ne va jamais voir » nous dit Face de Cuillère. De cette œuvre théâtrale contemporaine, on ressort empli d’une irrépressible joie de vivre. Conscient que dans la vie, il ne faut donc pas s’encombrer de choses qui ne font qu’éteindre nos étincelles…