dimanche 7 octobre 2007

Face de cuillère

De Lee Hall, texte français de Fabrice Melquiot, mise en scène de Michel Didym. Avec Romane Bohringer.

Samedi dernier, dans la soirée du 06 octobre, c’est une étonnante petite fille qui occupait les planches du Théâtre du Jeu de Paume, à Aix-en-Provence. Cette singulière gamine, c’est Face de Cuillère ou Steinberg de son vrai nom, mais personne ne l’appelle plus comme ça. Au périlleux exercice que celui de jouer une enfant malade, c’est Romane Bohringer qui s’y est attelé, avec audace, générosité et sensibilité sans jamais tomber dans le pathos ou le larmoyant dans cette histoire pourtant tragique.

Un Etre hors du temps

Face de Cuillère, c’est une petite fille sans âge chez qui tout va de travers. Une enfant condamnée dès sa naissance à porter ce drôle de nom en raison de son étrange frimousse ronde. Toujours ailleurs et disposant de facultés « géniales », elle est une sorte de mystère sans réponse que les docteurs qualifient d’autiste. Elle qui pourtant a tant de choses à nous dire, à nous apprendre. Imitant tour à tour sa mère, vouant un culte à la vodka et son père qui se saoule, lui, des effluves du corps d’une étudiante - elle se moque de ce monde d’adulte. Elle qui est à la fois, une gosse, une ado et une femme. Une gosse qui émeut par son langage enfantin, familier, brut et qui nous sert des évidences avec la joie d’ingénieuses découvertes. Le temps ne semble pas effleurer celle que le cancer condamne pourtant à une courte vie. Face de Cuillère n’évoque les faits que dans l’approximation : « Il y a un bail »…comme si le temps devait être oublier. Elle est une incroyable leçon de philosophie. Elle, qui traite du beau, de la religion, de la maladie, de la mort avec ces tics langagiers typiques des adolescents : « Et tout ça », « Tu vois le truc ? ». Face de Cuillère c’est une sacrée môme que la vie n’épargne pas mais qui affronte son destin avec une maturité démente. Une sorte d’Antigone des temps modernes convaincue que « Les choses les plus tristes ça te remplit à fond ». Une adoratrice de La Callas et des chanteuses d’opéra qui finalement s’éteindra en musique, comme elles, ces grandes dames aux bustes prégnants...

Une formidable leçon de vie

Le spectacle s’étire sur plus d’une heure et Face de Cuillère nous prend comme confident, à moins qu’elle ne s’adresse à un ami imaginaire. Quand bien même, elle nous tutoie... Elle est proche et lointaine dans ce décor intimiste et minimaliste. Un décor ou la froideur des couloirs d’hôpitaux se mêle à l’intimité de ce monde intérieur symbolisé par un fond de scène parsemé de nuages. Un univers de « grand » où celui de l’école est tout juste matérialisé par un bureau qui tourne le dos au public, comme si l’école était déjà si loin pour elle. Car nous avons beaucoup à apprendre de cette gosse. Elle qui a compris « qu’il n’y a qu’une chose absolument sûre c’est que l’on est sûr de rien » et « qu’être différent c’est être soi ». C’est une môme avec des questionnements d’adultes qui, dans son malheur, reste convaincu de la beauté de la vie. Parce-que « peu importe comme on meurt, c’est quand même magnifique d’être vivant », tu vois le truc ? Elle a compris que le plus important est de trouver l’étincelle qui donne du sens à tout ça, à ce que l’on nomme la vie. Cette étincelle que même la mort ne peut enlever…notre monde intérieur, notre imagination. Ce « papillon » comme l’appelle si justement Jean-Dominique Bauby dans son livre « Le Scaphandre et le Papillon ». Elle nous prouve que les petits enfants sont bien plus courageux que les grands. Car pourquoi avoir peur de partir alors que l’on n’a pas eu peur de venir ? « Dans la mort, plus rien n’est séparé. On est tout, et c’est rien ! »

Une Romane Bohringer pudique et juste

Dans ce rôle difficile d’enfant malade, où elle se lançait pour la première fois dans l’expérience du monologue, Romane Bohringer est magnifique. Dans son jogging rouge, son bonnet enfoncé jusqu’au bas des oreilles, elle est expressive, fragile, réservée et infiniment juste. L’émotion toujours au bord des yeux, elle avance sereine jonglant habilement avec mélodramatique et humour. Une prouesse de comédien qui vient enjoliver le texte déjà saisissant de l’auteur anglais Lee Hall, traduit ici par Fabrice Melquiot. Dans cette mise en scène dynamique où l’heure passe comme sa moitié, le spectateur est ému par cette force de la nature qu’est Face de Cuillère. On y apprend à parler de la maladie et de la mort avec beaucoup d’ironie et à voir la vie pour ce qu’elle a de meilleur à offrir. « Dans le ménage, je laisserai tomber les étagères où l’on ne va jamais voir » nous dit Face de Cuillère. De cette œuvre théâtrale contemporaine, on ressort empli d’une irrépressible joie de vivre. Conscient que dans la vie, il ne faut donc pas s’encombrer de choses qui ne font qu’éteindre nos étincelles…

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