vendredi 7 décembre 2007

Semaine Azerbaïdjan au Théâtre Toursky

Résolument ouvert sur le monde et le partage entre les cultures, le Théâtre Toursky a mis l’Azerbaïdjan à l’honneur durant la dernière semaine de novembre. Roustam Ibraguimbekov, célèbre scénariste, dramaturge et producteur Azerbaïdjanais était présent à Marseille pour la diffusion d’Adieu ville du sud, long métrage inspiré d’une de ses nouvelles - Bakou, fin des années 80 - et la représentation de Cherche partenaire pour rencontres épisodiques, par le Théâtre Ibrus. Voyage initiatique à la découverte d’un univers psychologique et singulier…

Ibraguimbekov : l’homme du Caucase

Roustam Ibraguimbekov - diplômé de l’Institut de Cinématographie de Moscou – est l’auteur de plus de quarante longs métrages et scénarios pour la télévision, de nombreuses pièces de théâtre et œuvres en prose. Internationalement reconnu pour ses créations, il demeure néanmoins méconnu en France, où la culture Azerbaïdjanaise n’est que peu évoquée. D’ailleurs combien savent exactement situer ce pays ou encore conter son histoire géopolitique? L’Azerbaïdjan est un territoire du Caucase, dont la capitale est Bakou. Frontalier avec la Géorgie, la Turquie, l’Arménie, l’Iran et la Russie ; il a longtemps oscillé entre indépendance et intégration forcée. Finalement devenu autonome depuis l’effondrement du bloc communiste le 30 août 1991, ses dirigeants ont choisi l’alliance politique avec les Etats-Unis. Premier pays démocratique de confession musulmane à accorder le droit de vote aux femmes, il connaît aujourd’hui une situation macro-économique satisfaisante mais doit encore relever le défi de la diversification des ressources et d’une répartition plus juste des richesses. Des conflits politiques intérieurs, religieux et territoriaux persistent actuellement dans le pays. Ce sont tous ces particularismes historiques qui ont forgé et forgent encore les œuvres d’Ibraguimbekov, comme une signature, une empreinte inaltérable. Né en 1939 à la capitale, il a connu les différents régimes de son pays et en témoigne dans de nombreux films - Soleil blanc dans le désert (1970), Interrogation (1979), Garde moi, mon talisman (1986), Urga (1991), Près de l’Eden (1991), Soleil trompeur (1994), Le barbier de Sibérie (1998) et Est/Ouest (1999) – primés pour la plupart. Chronique du Caucase, crime, drame psychologique et historique se conjuguent dans ses œuvres qui offrent une place dominante aux relations parfois difficiles entre pays, et aux liens entre les Êtres. Le psychisme des personnages, la conscience et la perception comme terrain d’exploration.

Sur les planches comme sur écran

Tel est l’épine dorsale de Cherche partenaire pour rencontres épisodiques présenté au Toursky vendredi 30 novembre. Cette pièce de théâtre jouée depuis plus de cinq ans dans les pays de l’est, dont plusieurs représentations à Moscou, dresse le portrait d’un couple ordinaire confronté à la dureté du temps qui passe et au vide du quotidien. Une création théâtrale à l’empreinte cinématographique forte où un ménage apparemment sans accrocs vit dans la rassurante mécanique du bonheur illusoire. De ceux qui vu par le miroir déformant de l’extériorité nous ferait dire : « Ah, que j’aimerais leur ressembler ». Mais la réalité est mensongère… Lui est scientifique, elle – rédactrice dans une maison d’édition. Deux postes à responsabilités pour un couple d’intellectuels modèles hors du besoin financier. Le déficit ici se compte plutôt en tendresse, partage et intercompréhension. Sous forme de huit-clos dans le salon familial, c’est un duel psychologique qui s’engage pour ces deux êtres si apparemment solides que profondément perdus, à cran. Car donner l’impression d’être en harmonie est pour eux la seule façon de vivre. « Il vaut mieux jouir de la vie que d’en parler » précise le texte. Assumer les erreurs du passé et accepter que le temps érode, parfois, les sentiments est bien plus ardu et insupportable que travestir la vie. Dans un jeu de psychés où les faux semblants dominent, tout est finement orchestré pour donner un sens à l’existence. Une orchestration basée sur la frontière invisible, terrible et insidieuse entre l’imaginaire de chacun et la réalité commune. Elle, rêve son mari en amant fougueux ; lui, songe à sa femme en plantureuse créature qu’elle n’est pas. Autant de rêveries chimériques personnifiées sur le plateau par deux autres personnages, si bien que deux couples distincts et idéals s’offrent finalement au public. Cette œuvre théâtrale aborde l’épineuse question du regard d’autrui. De la différence entre l’être, le paraître et le vouloir paraître et du difficile et rare équilibre qui permet de faire taire cette dissemblance. « Chaque couple établit ses règles », les dits, les non-dits…Ici, vivre en couple c’est lutter contre le silence des ressentiments – avec la jalousie et le mensonge comme anges gardiens – pour continuer à vivre, à feindre le bonheur pour usurper le réel. S’affronter pour mieux se réconcilier, contrefaire pour demeurer heureux avant tout ; telle est la règle pour ces êtres qui se déchirent autant qu’ils s’aiment. Une référence non fortuite donc au célèbre Cadavre vivant de Léon Tolstoï où le bonheur est au-dessus de tout, de la vie même pour le héros Fédia qui se suicide pour que son épouse Lisa soit enfin heureuse. Cherche partenaire pour rencontres épisodiques est une pièce psychologique, désarmante, lancinante même où le jeu renvoie le spectateur au réalisme angoissant de cette situation. Cette universalité humaine de condition selon laquelle l’Homme a besoin d’être apaisé jusqu’au risque de se tromper lui-même…

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