samedi 7 avril 2007

L’Ignorant et le fou

A présent en stage dans une revue culturelle, spécialisée dans le théâtre, vous retrouverez ici quelques unes de mes critiques...

L’Ignorant et le fou présenté du 29 mars au 13 avril 2007 au Petit théâtre de La Criée. D’après le texte de Thomas Bernhard, mise en scène de Célie Pauthe. Durée : 2h / Public : adulte / Genre : Théâtre contemporain, musique.


Dans une loge de théâtre, alors qu’une représentation de La flûte enchantée doit commencer, on attend encore la cantatrice qui doit chanter La reine de la nuit pour la 222ème fois. Le père, un vieillard à moitié aveugle et blasé qui retransmet son idéal de réussite dans sa fille, trompe l’angoisse et l’ennui en s’enivrant d’alcool et du discours obsessionnel d’un médecin…malade bien malgré lui. Les deux comparses laissés à leur solitude au sein de cette petite loge, se laissent aller à leurs travers. Le médecin tentant de comprendre l’état psychique de la diva qui, depuis quelques temps, aurait changé en décortiquant d’une précision effroyable les entrailles du corps humain. Il déambule frénétiquement, allant même jusqu’à déchirer dans un élan discursif sa chemise. Le père, lui, écoute entre deux gorgées ce discours insensé en répétant dans une sorte d’écho des parcelles de phrases de ce bien étrange docteur. Comme à son habitude, la diva arrive enfin bien qu’en retard. Grandiloquente et caractérielle, si suffisante mais si impuissante, elle assène son père de reproches. Tentant dans une succession de gestes mêlés à des spasmes nerveux de se maquiller et d’échauffer sa voix, elle semble fatiguée de jouer sa vie. Le médecin, lui, continue son pseudo monologue, alternant entre réflexion sur le désarroi apparent de la diva et discours obsessionnel décrivant une autopsie médico-légale. Arrive le tour de chant de la diva, les deux hommes sont laissés à leur solitude dans cette loge qui s’obscurcie peu à peu. Le médecin est au sol, étendu de tout son long, perdu dans les méandres de sa folie. Le père, lui, est lentement transporté dans une certaine torpeur angoissante. Jetée de rideau, l’obscurité a envahi le plateau et la salle, à l’exception du père qui, pris de spasmes, sombres dans ses propres ténèbres. Les dernières paroles entendues par le public sont répétées et projetées dans un écho lointain et psychédélique qui nous transporte à la limite de la raison et de l’angoisse. Changement de décor. Attablés, les trois comédiens partagent un repas qui lentement dégénère sur les préoccupations nébuleuses de chacun. La vaisselle faisant les frais de leurs états d’âmes. Le désarroi devient plus fort encore. La fille décide de ne plus jouer à la diva, le père se terre tantôt dans son silence et le docteur, théorisant et moralisant, se lance dans une réflexion sur le succès et le choix de vie…« il n’y a rien de plus fatiguant que d’être une sommité ». Ne se rendant même pas compte que la diva est atteinte de la tuberculose, il se lance dans des démonstrations des plus provocatrices. La fille perd toujours plus de sang et se réfugie dans les bras de son père. Le noir retombe sur le plateau, laissant chacun dans ses ténèbres. Seul le visage du docteur reste éclairé, stigmatisant certainement celui qui est l’icône de la folie ambiante. La pièce se clôture par un « l’épuisement, rien que l’épuisement » lancé par la diva mourante, qui serre contre elle ce père qu’elle a tant maltraité.

La scénographie :
La pièce débute sur une scène fort réduite où les comédiens ne sont pas à plus de deux mètres des premiers spectateurs. Le choix est fait ici, d’offrir une réelle proximité comédien/public. La loge est composée d’un grand miroir au-dessous duquel sont installés les éléments indispensables à la préparation de la diva. Seules deux chaises et un tabouret occupent en plus cette pièce. Les murs, d’un noir mat, font songés par leurs moulures à l’antre d’un opéra somptueux. Au changement d’acte, le décor se module allégrement dans une symphonie bien maîtrisée faisant apparaître les rouages d’une logistique bien étudiée. Apparaît alors une salle à manger où une table et ses convives occupent le côté cour de la scène, tandis que le côté jardin est habité par Winter, le domestique, sagement assis sur sa chaise. Une scénographie soignée et adaptée qui s’adapte correctement au ton et au thème de la pièce.


La lumière et la musique :
La musique est fort bien utilisée et vient jouer ici le rôle de pause, de souffle dans la folie ambiante. Elle donne aussi du réalisme à cette pièce dans laquelle chante une diva. La lumière, quant à elle, donne une force aux sentiments évoqués tout au long de l’œuvre. Le jeu de clair/obscur, minimaliste mais utilisé à bon escient, renforce l’impact des ressentis et donne à la thématique une profondeur angoissante.

Les comédiens :
Daniel Affolter dans le rôle de Winter et Karen Rencurel dans le rôle de Vargo, la costumière, sont justes et dans le ton. Fred Ulysse, en vieillard alcoolique et aveugle, est criant de vérité dans un rôle pourtant pas facile. Pierre Baux, le docteur et Violaine Schwartz, la diva interprètent avec brio leur propre folie dans les traits caractériels, parfois démesurés et outranciers, que la mise en scène leur a prêté. Dans des gestes emplis de tension physique, de crispation et dans leur phrasé saccadé, leur mal-être transparaît plus qu’outrageusement.

Avis général :
Un spectacle explorant avec brio les thématiques de la banalité de l’existence, de la torture de l’intelligence où l’intransigeance de l’esprit apparaît comme un processus mortel. Mais aussi une réflexion sur la fuite, sur la distraction de l’existence par l’existence contre la réalité de la condition humaine, contre l’angoisse de la maladie et de la mort. Thomas Bernhard par le thème de la dissection d’un cadavre nous amène à l’introspection des âmes par la fouille des corps…« Le désir de la mort d’où la peur de la fin ». Un théâtre de sublimation où se débattent des Etres qui par le dépassement de soi tentent d’être. Une œuvre qui pousse par la provocation à la réflexion, voire à l’introspection. Une provocation parfois abusive et injustifiée mais que le jeu d’acteur et le texte font néanmoins oublier. Un zest d’absurde et de dérision pimentent pour finir cette œuvre où l’on rit jaune de ce portrait acerbe de la condition humaine.

1 commentaire:

Denis a dit…

Une ouevre apparement très forte et finement retrascrite de ta part. Une bienheureuse habitude. Pozzacircus s'engage à faire promotion de ton blog. Tu verras. @++