mardi 17 avril 2007

Une bouffée d’Oxygène au port autonome

Oxygène d’Yvan Viripaev, mis en scène pas Galin Stoev, était présenté du 11 au 14 Avril par Le Merlan au Port autonome. Un lieu atypique pour un message novateur et inspiré. Accueillis dans une atmosphère feutrée de rose, les spectateurs ont d’emblée bénéficié d’une ambiance de douceur et de volupté. Après un petit verre, Jean-Marc Diebold a gentiment incité le public à rejoindre ses places par un « Dirigez-vous vers la porte pour l’embarquement et bon voyage ». Le ton était donné, nous partions pour un certain périple…Et les voyages forgent la jeunesse…
Sur scène, un Dj, trois comédiens et autant de micros…Mis à nu, avec pour seules lumières quelques spots placés au-dessus des micros, le plateau offre toute sa simplicité d’existence. Tout commence par la narration de Sacha, qui raconte l’histoire d’un ami qui a tué sa femme à coups de pelle. De cette histoire singulière où l’on nous présente les poumons humains comme des danseurs va naître toutes les compositions de la pièce. Dix tableaux à la manière des dix commandements bibliques, ou plutôt dix contre commandements qui s’attellent à dépeindre les crises mondiales de ce XXIème siècle décadent. « Tu ne tueras point », « Tu ne commettras pas l’adultère », « Tu ne jugeras point », « Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés »…Autant de commandements pour autant de critiques de la société. Alternant entre monologue, dialogue et échange avec le public, Sacha et Sacha nous livre un impulsif concert de pensées et d’inquiétudes sur ce monde qui ne tourne pas rond. Dans un rythme endiablé, leurs paroles sont offertes au public à la manière du Slam. La musique, comme la danse, viennent s’adapter à la cadence du texte comme pour mieux le soutenir. Leurs propos sont entrecoupés d’un refrain insurgé, loufoque et distinct pour chaque composition : « Ne regarde pas avec convoitise, cela veut dire ne convoite pas dans ton coeur. Celui qui regarde une femme avec opacité ne convoite pas et est cadenassé. Celui qui regarde une femme avec opacité ne cherche pas à la combler mais à se vider », « Un gars qui passe la nuit à se branler sur la photo d’Anna Kournikova, ou à enculer un célèbre présentateur de télé, et qui le jour suivant fait voter des lois pour lutter contre la pornographie ». Des exemples osés, des termes sauvages pour condamner tour à tour la mauvaise foi, la société de consommation, la religion et ses dogmes, les idées préconçues, les évènements du 11 septembre, les guerres, ceux qui en leur nom se permettent de juger pour tous et le sens qui a perdu son sens. Pris par ce rythme trépidant, l’heure de spectacle semble n’être que quelques minutes. La représentation s’achève alors sur une ultime composition intitulée Le casque sur les oreilles, seuls les musiciens entendent la musique…leur propre mélodie, celle qui vient de l’intérieur. Une litanie qui amène à la question du choix de vie : « Où serais-je si je n’étais pas là ? Qui serais-je si… ? » Ouverture du hangar sur le port qui nous livre ses intimes lumières nocturnes, leurs reflets dans l’eau et ce grand silence qui laisse à chacun le temps d’assimiler le message. Cette chronique de deux fruits de l’arbre céleste capturés dans la nudité de leurs ressentis s’achève sur le récit de leur histoire : « Deux Etres humains de la jeunesse actuelle, Sacha et Sacha, qui vivaient paisiblement…mais arriva le XXIème siècle…Ils cherchèrent alors l’oxygène ».
Céline Bolomey, Gilles Collard, Stéphane Oertli et Antoine Oppenheim (Dj) offrent avec talent, le seul élément nécessaire à la vie…celui que l’on trouve dans l’amour : l’oxygène. De ce don, le spectateur repart avec un peu plus de liberté, conscient qu’aucun élément qu’il consommera ne sera aussi fort que celui-ci. Car être conscient de respirer, c’est réaliser que l’on vit et qu’il faut respecter la vie. Dressé contre cette main invisible qui contrarie la liberté, l’Oxygène permet de ne pas suffoquer à cause des injustices qui gouvernent le monde.
Un lieu brut, un langage familier voire grossier pour un message cru, brutal mais tellement juste et justifié. Accueillis sur des bancs d’école pour mieux se mettre au ban de cette société que l’on décrit et décrie ici, le spectateur oscille entre l’intime et le global. Oxygène du préfixe oxy-, du grec ancien oxus : aigre, acide et du suffixe –gène du grec ancien gennan : qui engendre. Semblable au nouveau-né qui crie à sa première bouffée d’air, l’oxygène engendre donc dans la douleur. Tel est le ton de la pièce…Oxygène contribue à une prise de conscience amère du grand désordre mondial tout en ouvrant les portes d’une renaissance vers un monde meilleur. Un univers où chacun chargé de son propre oxygène peut entreprendre librement sa vie en écoutant sa propre voix. Ce théâtre provocateur, vindicatif mais doucement drôle s’adresse à cette génération du XXIème siècle sur « la tête de laquelle, quelque part dans le froid cosmos, vole à une énorme vitesse une gigantesque météorite » (Ivan Viripaev). Une pièce finalement pleine de fraîcheur et d’espoir dans cette société qui à elle seule se sclérose. Un message de paix pour tous et pour soi-même que Le Merlan perpétue en offrant au sortir de la représentation une bouffée d’oxygène en sachet. Comme une trace de ce qui fera, si on le préserve, danser longtemps encore nos poumons…

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