jeudi 15 mars 2007

Fragment de vies au hasard du train 17394

-"No fun, no fun...anarchie, anarchie" chantonnait l'un d'entre eux.
-" Et, vous allez pas foutre le bordel en arrivant?" demande la seule femme du groupe.
-" Moi non, tant que tu suces ma grosse queue" répond le chanteur.
-" Et, je vous préviens...faut qu'on trouve un moyen de se doucher en arrivant" précise l'autre, dans une logique toute féminine.
-"Pourquoi? Tu suces que ceux qui se sont douchés?" s'interroge le troisième.

Un fragment de discussion pour un fragment de la vie de trois clochards et de leurs trois chiens. Ces trois chiens qui me fixent avidement alors que je suis en train d'écrire ce qui est aussi leur vie...Ils crients, postillonent, rient et foutent un sacré bordel dans ce wagon où je suis, maintenant, presque seule avec eux. Les gens fuient, ils ont peur face au reflet de leurs propres angoisses, ils partent pour mieux occulter cette réalité...cette partie de notre société qu'il est plus aisé d'ignorer.
Ils redéconnent et rient à des blagues salaces, roulent leurs joints et boivent leurs bières. Arrêt du train --> Béziers, les trois individus et leurs chiens descendent du train.
Regards inquisiteurs des trois autres rescapés du wagon en ma direction (précisons que j'étais la plus proche d'eux)...ils se mettent à rire et se moquer. L'un d'entre eux me demande s'il peut ouvrir la fenêtre de ce wagon qui, je l'avoue, s'est enrichi d'une odeur nauséabonde. Mais moi, à la différence d'eux, ce spectacle ne m'a pas fait rire! Etre témoin de cette errance humaine m'attriste. Sous leurs rires outranciers et leurs discussions légères se cache une misère bien réelle et une tristesse profondément enfouie sous la carapace dont se sont dotés leurs coeurs. On ne vit pas dans la rue, on ne boit pas à outrance, on ne se drogue pas à longueur de journée par volonté ou par plaisir. Ces addictions qui les détruisent chaque jour toujours plus sont leur seule échappatoire à leur propre vie. Elles deviennent vite une vraie nécessité. Pourraient-ils seulement vivre sans cela? Ce triste spectacle, reflet de la société dans laquelle on vit, me rappelle celui des rues des bidonvilles de Kinchasa où les enfants fument à longueur de journée "pour se donner du courage". Qu'y a t-il de plus triste que de vouloir échapper à sa propre vie par des masques factices? On peut se demander comment on en arrive là...Mais je pense que la vraie question est : comment peux t-on laisser des gens ainsi?
Le pire, à l'exemple de ce soir, c'est que ces Hommes sont montrés du doigt et rejetés car on pense, peut être par facilité, qu'ils n'ont rien fait pour s'en sortir. Mais quand on tombe dans les abysses de sa propre vie qui s'étiole, voit-on toujours la lumière? Est-il toujours possible de voir à sa situation une issue positive? Ces individus ne choisissent pas et n'ont pas choisi leur condition, la société les y a envoyé et peu s'activent pour les en sortir.
N'oublions pas que les individus que nous croisons accroupis tous les jours sur les mêmes trottoirs des mêmes rues, que ceux qui inlassablement demandent "Vous n'auriez pas une petite pièce?", que ceux qui toutes les nuits d'hiver affrontent le froid dans nos rues et qui semblent parfois avoir perdu leur dignité humaine...sont avant tout des Hommes. Des Hommes déshumanisés, non pas par eux-mêmes, mais par d'autres Hommes. N'oublions pas que ces gens là sont nos semblables!
En les voyant dans la rue, voyez en eux ce que vous pourriez aussi être et ce que vous pourriez devenir, et si vous pouvez aider-les...même si cette aide doit seulement se résumer à ne pas fuir du wagon où vous êtes juste à cause de leur arrivée.

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