mercredi 26 mars 2008

Boule de Suif

Fresque historique d’une bourgeoisie corrompue

Après trois semaines de spectacles, le Festival Russe proposé par le Toursky s’est achevé le 16 mars avec l’ultime représentation de Boule de Suif, version opéra bouffe. Une mise en scène originale et cadencée, de Vladislav Pazi, interprétée avec panache par les comédiens du Théâtre Dramatique d’Etat de Saint-Pétersbourg.
Boule de Suif…qui ne connaît pas, ne serait-ce que de nom, cette œuvre majeure de Maupassant. L’histoire prend place en France, en pleine guerre franco-prussienne, et l’armée nationale complètement décimée ne peut retenir l’envahisseur. A Rouen, une diligence fuit alors vers le Havre avec à son bord, marchands, notables, bourgeois et Boule de Suif. Elizabeth, ou Boule de Suif – surnommée ainsi à cause de son embonpoint – est une prostituée. Mise d’emblée à l’écart du groupe qu’elle accompagne, elle regagne seulement un intérêt pour ses congénères lorsqu’elle peut les aider. Pris en otages par les prussiens, elle sera ainsi contrainte – par la pression de la masse - d’offrir son corps comme rançon pour libérer le groupe de l’emprise de l’ennemi. La liberté ou l’honneur sont les deux règles contradictoires de ce jeu. « Il ne faut jamais résister à ceux qui sont plus forts », lui répètera l’un des français jusqu’à ce qu’elle cède. Pourtant, une fois la mission accomplie, loin de la remercier pour son dévouement, plus personne ne lui adressera la parole. Il ne lui restera plus que les pleurs et le désespoir comme unique compagnie.
Ainsi, Boule de Suif - la dévoyée - se révèle finalement bien plus honnête et altruiste que ces bourgeois indélicats, aux valeurs inexistantes. Dans cette fuite aux multiples rebondissements, ce convoi devient le centre du monde. A la fois symbole de l’hypocrisie, de l’hégémonie des faux-semblants et de la fausse bonne conscience de la bourgeoisie ; Boule de Suif dépeint le tableau de toute une époque.
Un tableau esquissé ici sur un ton espiègle et allègre qui redonne une deuxième jeunesse à l’écriture de Maupassant. Ce Boule de Suif là est un mélodrame clownesque où se mêlent pathétisme et quolibet. Il commence sur un plateau où règnent une atmosphère rougeoyante, un rouge d’enfer et de sang pour une France arrogée. Puis tout le spectacle continue de la sorte, éclairé par des lumières vives et égayé par des costumes très colorés. Boule de Suif est presque impressionniste par ses couleurs, un peu comme un feu d’artifice. Par le jeu des comédiens et la rapidité des bouleversements émotionnels, il devient plutôt expressionniste.
Impressionniste ou expressionniste, que l’on ait aimé ou pas… ce Boule de Suif est indéniablement représentatif du théâtre russe et de ses coutumes de mise en scène et d’adaptation. Comme bien souvent les russes y parlent d’eux-mêmes : « Les russes sont d’horrible pêcheurs qui se repentent en permanence » ; tout comme ils mettent le théâtre en abyme : « Ce n’est que dans les mauvaises pièces que les gens sont ou gentils ou mauvais », « Je suis un incorrigible comédien sincère ». Et comme à l’accoutumée, la fin de la pièce est similaire à son commencement, comme une manière de "boucler la boucle". Les mobiles utilisés – sortes de grandes boites noires sur roulettes -, sont eux-aussi des outils scénaristiques récurrents dans les mises en scène russes et permettent d’adapter à volonté l’espace scénique à volonté. Servant tantôt de cachette, de diligence ou encore de prison lors de l’arrêt du convoi par l’armée prussienne ; ces boîtes mouvantes constituent l’élément fondateur d’une mise en scène dynamique et enlevée.
L’éminence de l’orchestre, mené par un tout jeune chef, est également à noter. La musique est en parfait soutien de la mise en scène et de l’histoire, évoquant tour à tour l’inquiétude, la joie, la mélancolie ou encore l’intrigue. A ces sentiments se mêle également l’humour. Un humour populaire, parfois rustique et grossier, mais toujours hilarant qui fait même danser, telles des pitres, les religieuses de la pièce.
Ce Boule de Suif revisité est assurément une œuvre brillante qui porte un regard inquisiteur, en finesse et émotion, sur la moralité des Hommes et leur liberté individuelle dans une société aux mœurs corrompues. Au sortir du spectacle, on se dit - malheureusement – que les dérives décriées par cette pièce là rendent intemporelle…

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