vendredi 1 juin 2007

Histoire de mon corps (Théâtre du Tétard)

Hervé Guibert, journaliste homosexuel et séropositif décédé à l’âge de 36 ans des suites d’une tentative de suicide, a marqué son court passage ici-bas par son arrogance, son narcissisme, son entêtement…peut être tout simplement par son incroyable franchise. Histoire de mon corps est celle de sa vie, de sa lente déchéance, de ses périodes de doute, de dépression et de complaisance dans ce mal. C’est le journal d’un Etre duel à la psychologie complexe qui, plus de dix ans après sa mort, fascine autant qu’étonne. Un Etre qui, abandonné par ce corps qui l’entraîne inexorablement vers la mort, décide d’en raconter l’histoire puisque sa vie spirituelle demeure à présent liée au devenir de celui-ci.
Cette pièce, à l’image de l’auteur, est emplie d’un humour brut, à froid, sans concession. Un humour qui se joue de tout et même de la mort, un humour qui fait rire autant que pleurer. Cette œuvre est le parcours de cet ange déchu, promu à un brillant avenir, si la vie n’en avait pas décidé autrement. Histoire de mon corps est un conte cruel, celui de sa vie…de la naissance à la mort. Des moments de douceur, souvenirs de la petite enfance où le rapport à ses parents n’était qu’amour et volupté. Une époque où son corps n’était que bien-être en opposition franche avec les douleurs provoquées par les traitements contre le sida. Un lien qui, avec les années, se transformera en une rancœur et une haine froide où Hervé s’imaginera même à plusieurs reprises les tuer pour être libre. Puis arrive la période ingrate de l’adolescence, celle où l’on se cherche. La découverte d’une homosexualité devenue évidente ; la difficulté d’en parler à ces parents, devenus plus étrangers que de véritables inconnus. Son mal-être grandissant avec l’âge, il sera à la fois tourmenté par ses successives conquêtes et complaisant dans cet équilibre toujours bancal.
Ecrivain, journaliste et photographe, son premier amour restait néanmoins l’écriture. Cette nécessité de trouver le mot juste, celui qui donnera le ton, le réalisme à l’émotion, ce mot unique qui seul à sa place dans cette phrase. Cette passion de la littérature où lire quelques lignes d’un livre puis le refermer procure une jouissance indescriptible, cet amour des mots qui plus que tout donne le sentiment d’être vivant ! Hervé Guibert était un écrivain de l’absolu, condamné par la vie, il fallait écrire pour l’usurper, lui faire un pied de nez pour lui montrer que le sort n’est rien. Guibert était un « trompe la mort » comme disait certains. Un homme qui, à la différence de Thomas Bernhardt ou Albert Camus tout deux atteints de la tuberculose qui ont utilisé leur maladie pour parler de la mort, lui utilisait l’écriture pour la braver. Non, il n’a jamais été victime du sida ! Le sida c’est la manifestation incroyable et inattendue de son véritable désir de mourir…Comme un cadeau venu le délivrer de cette vie qu’il qualifiait « d’horreur merveilleuse »…Voici toute l’ambivalence du personnage qui, tenace et dépravé, ira même jusqu’à filmer son atroce déchéance depuis son lit d’hôpital. Un trait de personnalité que reprend avec dextérité cette adaptation lorsque l’on croit Guibert mort et où il se relève brusquement en criant dans une diction entrecoupée d’un rire nerveux « Je suis heureux, Je suis heureux »…
Cet Etre atypique, éternel adolescent, torturé et génialissime…difficile à représenter par la complexité de sa psychologie a été joué avec un talent démesuré, presque insolent par Laurent Kiefer de la Compagnie Le studio de l’aube. Racontant cette lente décadence avec lucidité et détachement, à la manière de Guibert, le public a été progressivement attendri, touché puis carrément bouleversé. Dans ce plateau plongé dans une quasi obscurité, reflet du ton de la pièce, le décor est presque absent mais Laurent Kiefer occupe avec une aura démentielle tout l’espace. Seuls subsistent une photo de Guibert enfant, une chaise et cette couverture blanche, doudou de l’enfance, venu stigmatiser ce désir d’éternelle jeunesse. Une mise en scène juste et suffisante pour une prestation de génie de laquelle Laurent Kiefer sortira d’ailleurs bouleversé, les larmes s'annonçant à la commissure de ses yeux. Preuve que les compagnies de théâtre régionales possèdent de bien belles ressources, où l’émotion tel un leitmotiv est à son apogée...

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Mon dieu tu as vu le spectacle de mon meilleur ami Laurent Kiefer ? Quel joie, cette merveille de théâtre subtile qu'est "Histoire de mon corps"... Pour l'avoir vu juste après l'exploitation de mon propre spectacle, j'en suis encore retourné. Je crois comprendre que cela t'as plu et bien dis-le lui sur son blog (http://laurentkiefer.over-blog.com) je pense que cela lui fera plaisir, Si tu ne l'a pas déjà rencontré. Sans fausse modestie si tu as aimé ce spectacle, tu aimeras "Le Toucher de la hanche"... A très bientôt...

Anonyme a dit…

Merci pour ce bel article, je vois que vous devez bien connaître Hervé Guibert pour en parler avec autant de justesse et mettre ainsi en lumière toute son ambiguité. Dates à confirmer, je devrais avoir le plaisir de reprendre, dans le même lieu, "Histoire de mon corps", les deux premiers week-end d'octobre. Enfin, félicitations pour votre blog et votre beau travail de passionnée.